vendredi 10 août 2012

Mes familles d'écrivains (2): Djian, Istrati

Ma première famille d'écrivains regroupe les deux auteurs Panait Istrati et Philippe Djian.

Panait Istrati, dont je présente brièvement la vie dans mon article sur la littérature roumaine est un écrivain roumain né au XIXième siècle d'un père grec et d'une mère roumaine dans la ville de Braila .

Ses livres ont une large part d'autobiographie, notamment le cycle des récits d'Adrian Zograffi, qui est en quelque sorte le double de papier d'Istrati.

Adrian est un homme pauvre, orphelin de père aidé par une mère qu'il désespère et dont il déjoue sans cesse les tentatives de le "ranger".

Il est dévoré par le goût de la liberté, de la littérature et de l'errance, sa vie n'est qu'une succession de voyages, de rencontres et de retombées dans la misère.

Conscient de son vice et des limites de ce mode de vie, il continue néanmoins à courir, dénonçant au cours de ses voyages un monde raciste, inégal et à bien des égards sans humanité.

On sent que la valeur suprême est la liberté, liberté vue comme un détachement des choses matérielles, des idées et des rapports inégaux qui régissent la société, comme un appétit insatiable de découverte, de voyage.

On sent aussi que cette liberté a un prix, et qu'il en est conscient, que quelque part il culpabilise même de ses choix.

Philippe Djian, quant à lui, est un écrivain français né à la fin des années 40. Sa jeunesse est remplie de voyages, de petits boulots et de lectures, en particulier de littérature américaine.

Il écrit des livres percutants, dont les histoires brossent des portraits psychologiques de losers, de personnages au bout du rouleau, en marge. Ils sont plein de sexe, de sang, de cafés, de cigarettes et d'alcool, d'autoroutes, de voyages erratiques et d'excès.

Tous ses héros courent après la liberté, enchainent les expédients et les compromis, les petites lâchetés, tous rêvent d'autre chose.

Sa production est à mon goût assez inégale, certains de ses bouquins m'ont laissé une sale impression, que je les trouve trop glauques, trop gratuits ou que je ne rentre pas dans l'histoire, mais de temps en temps j'aime replonge dans cet univers très particulier.

Son livre le plus connu, à cause de son adaptation au cinéma, est "37°2 le matin". Il est vraiment excellent, tout comme la trilogie "Assassins" - "Criminels" - "Sainte Bob".

Je rapproche ces deux auteurs parce qu'ils ont comme point commun de faire des livres inspirés de leur vie et qu'ils mettent en scène des gens insatisfaits, comme la plupart d'entre nous, mais qui ne s'en contentent pas, qui luttent pour une liberté qu'ils savent chimérique et quasiment impossible à atteindre, qui ne se résignent pas à la vie qui leur est promise.

Istrati livre en quelque sorte la version optimiste de cette quête, et Djian la version pessimiste.

Le premier expose des idéaux, se passionne pour la lutte des damnés de la terre, s'enthousiasme pour le communisme naissant, tout en montrant que c'est aussi une aliénation et que ça peut être destructeur (son héros s'excuse presque de ne pas pouvoir adhérer à ce monde en noir et blanc).

Le second est plus nihiliste, dans le registre du "tous pourris", du "on va vers l'abime, autant baiser en chemin".

Je ne les lis que lorsque je suis dans un certain état d'esprit, parce que chacun à leur façon, ils me font réfléchir à des aspects pas forcément très gais de la condition humaine.

C'était mieux avant...

Enfant, j’ai eu la chance de bien connaître mes grands-parents. La population du village que j’habitais était largement composée de gens de leur génération, et j’ai grandi dans des conversations ponctuées de mélancoliques « dans le temps » et de « c’était mieux avant ».

Cette petite musique m’a longtemps bercé. Je suis devenu nostalgique d’époques que je n’avais pas connues (mon goût pour l’Histoire vient sans doute de là) et j’ai même parfois eu tendance à développer un désintérêt pour ce qui est récent, ce qui n’a pas fait ses preuves.

Toutefois, au fur et à mesure que le temps a passé, j’ai commencé insidieusement à avoir des doutes.

La première révélation est venue d’un recueil de poésies (d’Alfred de Musset il me semble) que j’ai lu à l’adolescence.

En effet, stupeur, je suis tombé sur un poème où l’auteur parlait de son temps comme d’une époque mécréante, sans foi ni loi, matérialiste et superficielle. Il opposait au marasme contemporain les valeurs disparues du temps jadis: à part le style, il aurait pu être écrit aujourd’hui !

La deuxième révélation a été le revival des années 80.

Lorsque j’étais petit, la télé diffusait régulièrement des scopitones et de vieilles émissions en noir et blanc sur les années yéyé.

Mes parents soupiraient devant ces émissions, opposant cette époque créative aux années 80 vulgaires, déprimées et anglo-saxonisées que nous vivions alors (oubliant que les yéyé étaient avant tout la VF de tubes anglo-saxons, mais bon).

Vingt ans plus tard, la même soupe nous a été resservie, sauf que l’époque bénie, créative, insouciante et heureuse c'était maintenant ces fameuses années 80, celles que l'on dénigrait à l’époque en les comparant aux années 60 (!).

Enfin, la cerise sur le gâteau c'est quand récemment une de mes amies me disait que les jeunes d’aujourd’hui n’avaient plus le respect que nous avions du temps de notre jeunesse.

Là j’ai dit stop, il y a arnaque !

Il est évident que les générations changent, que le contexte d'aujourd'hui est bien différent de celui de nos vertes années.

Mais il n’y a absolument aucune raison de dire que les gens étaient meilleurs avant, aucune raison objective de penser que le monde tournait mieux que maintenant.

Certaines choses étaient peut-être mieux, mais en cherchant un peu, on en trouverait autant qui étaient moins bien: il n'y a pas d'époque bénie et s'il y a une chose de sure, c'est que les gens restent les mêmes.

Ceux qui idéalisent les Trente Glorieuses devraient se rappeler que cette époque a vu les guerres coloniales, une explosion démographique incontrôlée, la ruine du petit commerce et le poujadisme, une inflation et une accélération profonde de la pollution, et que la moitié de l'Europe était alors gouvernée par des dictatures.

Ceux qui vénèrent les années 80 doivent se souvenir de Tchernobyl, des agressions racistes, de la cigarette omniprésente, des grandes affaires de corruption type Urba, de l’épidémie de SIDA, de l’apartheid.

Et tous devraient se souvenir qu’Elvis, que toutes les ligues de vertu avaient condamné, a voulu plus tard faire censurer les Beatles, que les hippies, qui assassinaient le rock’n’roll, ont été à leur tour vomis par les punks, que chaque époque a eu ses rebelles qui ont enterré leurs prédécesseurs.

Tous devraient se rappeler que les premières machines à filer le coton furent détruites par des mouvements d’artisans, avant que leurs descendants devenus ouvriers, refusant la robotisation ou l’externalisation, ne s'accrochent auxdites machines.

Tous devraient se rappeler que l’État providence, qui fait consensus aujourd'hui, fut combattu par une part notable de ceux qui étaient censés en bénéficier et que parfois il fallut employer la force pour imposer sa mise en œuvre.

Tous devraient se rappeler que le projet colonial a été massivement refusé par l’opinion publique, laquelle s’opposa ensuite tout aussi massivement à la décolonisation.

Enfin, tous devraient noter que dans les sondages d'opinion russes et portugais, Staline et Salazar ont une popularité étonnamment haute.

Bref, non ce n’était pas mieux avant, ce qui était mieux c’est qu’avant on était plus jeunes, plus enthousiastes, moins encombrés de réflexes et souvenirs, plus réceptifs, qu'on avait aussi plus de temps et d'énergie pour accueillir les nouveautés.

C'est en fait de cela qu'on est nostalgiques, et l'on regrette les temps révolus parce qu'ils constituent le décor qui va avec, ni plus ni moins.

Et on les regrette d'autant plus qu'avec le temps qui passe, nous sommes tous enclins à filtrer nos souvenirs pour n’en garder que les bons, repeignant en rose un temps passé qui n'était globalement ni meilleur ni pire.

jeudi 9 août 2012

Mes familles d'écrivains (1): Introduction

Lisant beaucoup et de manière anarchique, j'ai régulièrement rencontré des auteurs que j'ai spontanément eu envie de rapprocher.

Ces auteurs peuvent ne pas se connaitre, être d'origine, de langue et/ou d'époques différentes, n'avoir aucun lien a priori...

Mais des thématiques qui se ressemblent, quelque chose dans le style, les idées, et également (et surtout) le ressenti que j'ai éprouvé en les lisant m'ont amené à les regrouper dans ce que j'appellerai ici (de manière totalement subjective donc) mes "familles d'écrivains".

Je vais donc en décrire plusieurs sur ce blog.

Précédent : Lectures

mercredi 8 août 2012

Les noms propres devenus communs

Une langue vivante est en mouvement perpétuel.

Selon les événements, les influences, le voisinage, etc, des mots nouveaux apparaissent, en remplacent d'anciens, sont transformés, changent de registre, etc.

Ce bouillonnement et cette réinvention constante sont précisément le signe qu'une langue est vivante, et tous ceux qui ont voulu le contrôler s'y sont cassé les dents.

Dans le présent post, je vais m'attarder sur les noms propres qui ont changé de côté, devenant des noms communs, générant des verbes, de nouveaux noms.

Les noms "source" peuvent être des noms de lieux ou de personne, et j'ai listé quelques exemples de ces mots ayant changé de registre.

Marques ayant donné des noms communs

Le premier groupe que je vais évoquer est constitué des marques qui ont popularisé un objet et sont devenues si incontournables qu'elle ont généré le mot décrivant l'objet en question.

En français, il y a le frigidaire, abrégé en frigo, qui est synonyme de réfrigérateur. A l'origine, Frigidaire est une marque d'appareils électroménagers, qui proposait entre autres des réfrigérateurs.

De même, la mobylette, devenue synonyme de cyclomoteur, était l'un des modèles de cyclomoteur proposés par feu Motobécane.

Enfin la jeep, qui désigne un véhicule tout terrain vient de la marque américaine du même nom.

Toutes les langues ont des exemples de ce processus de glissement vers le nom commun (qu'on appelle, semble-t-il, antonomase).

En anglais, le verbe to hoover signifie passer l'aspirateur et vient d'un modèle populaire de l'appareil du même nom.

En roumain, une xerox est une photocopieuse et des adidas sont des chaussures de sport, quelle que soit la marque de ces objets.

Personnes dont le nom est passé dans les noms communs

Le deuxième groupe de mots auquel je me suis intéressé est celui des mots issus du nom de la personne qui a popularisé, parfois à son corps défendant, l'objet ou le concept.

Les britanniques ont légué au monde les mots boycott et sandwich, tous deux liés à des personnages historiques.

Le premier vient d'un intendant anglais en Irlande, Charles Cunningham Boycott, qui traitait si mal ses fermiers que ceux-ci décidèrent de faire le vide autour de lui et de ne pas collaborer, de le boycotter donc. Son nom passa à la postérité à cette occasion.

Quant au second, John Montagu, 4e comte de Sandwich, la légende dit qu'il aurait adopté et popularisé le plat du même nom pour pouvoir manger en s'adonnant à sa passion dévorante pour le jeu. L'histoire n'est pas avérée, mais le succès du sandwich si.

La langue anglaise a également recyclé l'allemand Franz-Anton Mesmer, théoricien du magnétisme animal, en créant le verbe "to mesmerize", synonyme d'hypnotiser.

En France, le mot poubelle vient de l'initiative du préfet de la Seine Eugène-René Poubelle, qui obligea ses administrés à stocker leurs ordures dans des boites fermées pour lutter contre leur étalement dans les rues. La "boîte Poubelle" perdit rapidement son "boite" et changea par la même occasion de côté du dictionnaire.

De l'oeuvre torturée de l'écrivain pragois Franz Kafka est également sorti l'adjectif kafkaïen, désignant quelque chose d'aussi absurde qu'inextricable et complexe.

Plus près de nous, le mot poujadisme est devenu un synonyme de populisme, et qualifier quelqu'un de poujadiste revient à le traiter de démago, de populiste réactionnaire.

A l'origine il y a Pierre Poujade, un papetier du Lot qui créa dans les années 50 l'UDCA, mouvement de révolte antiparlementaire, antifiscal et de défense du petit commerce alors en pleine crise.

Fort en gueule, adepte des actions musclées, Poujade connut un succès aussi spectaculaire qu'éphémère puisque son mouvement disparut rapidement.

Sa postérité est par contre assurée puisqu'il a donné un nom commun (ce dont d'ailleurs bien peu d'hommes politiques peuvent s'enorgueillir !).

Il arrive aussi que des personnages de fiction finissent par engendrer un nom commun.

Par exemple, Paparazzo était un photographe dans le célèbre film de Fellini "La dolce vita", avant de désigner un avatar dévoyé de cette profession.

Il y a encore le cas de Jacques Prévert, dont le gout pour le surréalisme et les jeux de mots donna l'expression "inventaire à la Prévert".

Noms de personnes passés dans la géographie

Nombre de lieux ont ou ont eu un nom lié à une personne, essentiellement dans les pays issus de la colonisation européenne.

Le plus célèbre est bien sur l'Amérique, nom attribué au continent à partir de celui du florentin Amérigo Vespucci, qui aurait le premier émis l'hypothèse que ce n'était pas les Indes, mais un nouveau continent qui avait été découvert.

Sur ce continent, on peut aussi citer la Colombie, qui porte le nom du découvreur officiel de l'Amérique, Christophe Colomb.

Ce nom a tout d'abord été attribué, pendant les guerres d'indépendance de l'Amérique espagnole, à un vaste territoire regroupant l'actuelle Colombie, l'équateur et le Venezuela, avant de se réduire à la seule Colombie actuelle.

Il y a également la Pennsylvanie, un des états fondateurs des USA, qui a pris le nom du quaker William Penn.

En Afrique, on peut noter que Zambie et Zimbabwe s'appelaient avant l'indépendance Rhodésie du nord et du sud.

Ce nom de Rhodésie dérive de celui de Cecil Rhodes, puissant homme d'affaires et politique anglais, fondateur de la légendaire compagnie diamantaire De Beers et personnage très impliqué dans l'expansion coloniale britannique. Rien d'étonnant à ce que les pays émancipés aient désiré changer leur nom.

Plus au nord du continent, il y a l'Arabie Saoudite, qui a pris le nom de la famille qui la dirige, les Ibn Séoud.

A l'époque coloniale, beaucoup de villes furent baptisées des noms de découvreurs ou souverains des pays européens.

La plupart, telles Lourenço Marques (l'actuelle Maputo au Mozambique) Elisabethville (l'actuelle Lubumbashi dans l'ex-Congo belge) ou Orléansville (l'actuelle Chlef en Algérie) furent rebaptisées après l'indépendance.

Ce ne fut pas le cas de Brazzaville, dont le nom vient de l'aventurier italo-français Pierre Savorgnan de Brazza, colonisateur qu'on décrit comme idéaliste et respectueux (ceci expliquant peut-être cela), et qui sert souvent à distinguer le pays de son voisin la R.D.C. On parle alors de Congo-Brazzaville.

D'ailleurs, ce pays a même récemment rapatrié la dépouille de l'aventurier (précédemment en Algérie) pour lui construire un mausolée (décision contestée). Savorgnan de Brazza fut aussi le fondateur de Franceville, au Gabon, le nom étant fort simplement inspiré par son pays.

De même, certaines villes ou lieux ont pu être rebaptisés volontairement par un nouveau régime en l'honneur d'un membre fondateur: Stalingrad (ex-Volgograd), Leningrad (ex-Saint-Pétersbourg) en URSS, Ho Chi Minh ville (ex-Saïgon) au Vietnam ou encore le mont Herzl en Israël.

Par ailleurs, beaucoup de régions, de villes, voire de pays ont simplement été baptisés en se basant sur un nom déjà existant.

On pense à la Nouvelle-Zélande (qui connait l'ancienne?), la Nouvelle-Calédonie, le Nouveau Brunswick (Canada), le Nouveau Mexique, New York, New Orléans...

Parfois le nom initial est transformé: le Vénézuela est la petite Venise, les Malouines tiennent ce nom des pêcheurs de Saint-Malo, etc.

Enfin, beaucoup d'îles ou d'archipels ont pris le nom de leurs découvreurs: îles Crozet ou Kerguelen, archipel des Mascareignes (du portugais Pedro de Mascarenhas), île canadienne du Prince Edward, île britannique Tristan da Cunha...

Un cas plus récent (et plus étonnant) est la banlieue de Paris Levallois-Perret, qui est issue de la partition de Clichy et dont le nom est tout simplement la jonction des deux personnes qui l'ont fondée en 1822, à savoir Nicolas Eugène Levallois et Jean-Jacques Perret !

Autre cas curieux, le village de Transylvanie "Général Berthelot", baptisé ainsi par la Roumanie en signe de reconnaissance pour un militaire envoyé par la France pour réorganiser l'armée roumaine en 1916. Cet homme avait ensuite gardé des liens avec la Roumanie, où le gouvernement lui avait donné une propriété.

En France, nous avons aussi Décazeville, bourgade qui prit le nom de celui qui transforma au XIXième siècle un petit village aveyronnais en un important centre sidérurgique: le duc Decazes.

Noms de lieu ayant généré des noms communs

C'est par la catégorie des noms communs issus de noms de lieu que j'achèverai mon inventaire -justement!- à la Prévert.

Le cas le plus évident est le lieu de la découverte utilisé pour désigner son objet. Exemple: la montmorillonite, minerai utilisé dans l'industrie pour son imperméabilité et dont le nom vient de la petite ville de Montmorillon où il se trouve en abondance.

Plus intéressants me semblent les mots issus du nom d'un lieu associé à un événement particulier.

Le verbe limoger, qui signifie révoquer, destituer tire son nom de la ville de Limoges.

Ce nom s'est imposé suite à un épisode de la Première Guerre Mondiale, quand le Maréchal Joffre avait assigné à résidence dans la ville de Limoges des officiers dont on considérait qu'ils avaient démérité. Une fois de plus, l'épisode est contesté, mais le mot est resté.

Le mot finlandisation désigne une très forte influence, à la limite de l'ingérence, exercée par un état puissant sur un autre qui l'est beaucoup moins. Ce dernier se retrouve "finlandisé".

Ce mot fait référence au lien de quasi-vassalité qui fut imposé par l'URSS à la Finlande durant toute la guerre froide, Moscou intervenant plus qu'à son tour dans le gouvernement de son voisin scandinave.

Le mot baléarisation, enfin, est synonyme de développement touristique anarchique sous la forme d'un bétonnage sauvage et d'une exploitation sans limite d'un territoire touristique. Il fait référence à ce qu'a connu l'archipel des Baléares dans les années soixante.

Je terminerai ma liste par un autre cas, celui de l'Arlésienne, titre d'une œuvre d'Alphonse Daudet qui a finit par entrer dans le langage commun puisqu'on dit "c'est l'Arlésienne" pour parler d'une chose dont on parle sans jamais l'avoir vue.

A travers ces quelques exemples (il y en a beaucoup d'autres) j'ai voulu montrer un des mouvements naturels et passionnants qui affectent une langue vivante.

lundi 6 août 2012

Violence, culture et politique (2): Les "Poilus"

Avec la dépouille de Lazare Ponticelli, mort le 12 mars 2008, s’en est allé le dernier représentant d’un groupe longtemps constitutif du paysage français : l’ancien combattant.

Les jeunes générations ont du mal à s'imaginer à quel point le "poilu" était une figure de la société, constituait un groupe important, visible, parfois même une sorte de lobby, et ce jusqu'à ce que le temps fasse baisser inexorablement leur nombre et leur vigueur.

Dans les années 70-80, lorsque j'étais enfant, je me souviens de la mémoire de cette guerre atroce qu'avaient mes grands-parents et parents, notamment sur les conditions de vie dans les tranchées. Même si on ne s'étendait pas sur le sujet, c'était quelque chose qui avait profondément marqué leurs propres parents.

Je me souviens aussi des polémiques, notamment sur les "gueuletons" des poilus payés par le contribuable, du sketch de Coluche qui les moquait de façon grinçante, ou encore des excuses que Daniel Balavoine avait du faire suite aux protestations engendrées par une remarque acerbe sur les anciens combattants.

A cette époque, le phénomène était pourtant déjà quelque chose d'anecdotique, presque de folklorique.

Ça n'avait pas toujours été le cas.

En effet, le traumatisme de la Grande Guerre, l'expérience si particulière des tranchées, la déconnexion d'avec l'arrière avaient été si marquants qu'une partie importante des survivants s'étaient organisés après l'armistice en groupes, prolongeant la solidarité et l'expérience militaire, entretenant le souvenir.

Une partie de ces groupes, imprégnés de violence et pleins de détestation pour les régimes en place, allait donner le jour à des mouvements politiques plus ou moins radicaux et belliqueux.

En France ce sera les ligues, dont une partie tentera de renverser le gouvernement le 6 février 1934 (ironiquement, celle qui est toujours citée car la plus importante et emblématique, les croix-de-feu du Colonel de La Rocque, n'y participera pas).

En Italie et en Allemagne, le fascisme et le nazisme s'appuieront largement sur les anciens de la première guerre mondiale pour parvenir au pouvoir et écraser leurs opposants.

Quel que soit le pays, la génération des tranchées constituera en tout cas un groupe visible, respecté et/ou craint, vigilant sur l'honneur militaire, le souvenir, le patriotisme, etc. Les sociétés européennes en seront profondément marquées. C'est cet aspect-là qui disparait de la scène française avec le dernier poilu.

Aujourd'hui, tout cela rejoint peu à peu les guerres napoléoniennes ou celles de Louis XIV dans le fourre-tout de l'histoire avec un grand "H", la formule "der des der" ferait presque sourire (ironiquement) et les générations actuelles ne mesurent pas (et c'est normal) la chance extraordinaire de ne plus avoir d'anciens combattants, preuve d'une longue et inédite période de paix sur le continent.

Bien sur, les compagnons de la Libération et les résistants ont constitué un groupe un peu similaire, mais à une échelle bien plus petite et bien moins ancrée dans le paysage, et puis c'était une guerre différente, idéologique, de mouvement, et où les masses étaient moins importantes que la technologie.

Quant aux anciens combattants des guerres coloniales, la société les a refoulés et cachés, stigmates honteux d'une histoire qu'on voudrait oublier.

Le théâtre de la formation professionnelle

Il y a maintenant une grosse dizaine d’années que j’ai intégré le monde du travail. Au cours de cette période, j’ai plusieurs fois suivi des sessions de formation professionnelle, qui m’ont inspiré le post d’aujourd’hui.

La formation est un moment particulier de la vie professionnelle. En effet, c'est un passage où la personne qui la suit sort de son contexte habituel, que cette formation ait été souhaitée ou subie.

Se déroulant généralement dans d’autres locaux que ceux où le stagiaire évolue habituellement, elle le met en contact avec des gens de profil, d’histoire et d’employeurs différents, les replonge dans un contexte d’apprentissage et quelque part leur donne l’illusion de remettre les compteurs à zéro, de rebondir.

Je me suis toutefois aperçu que, quel que soit le sujet et le formateur, on retrouve toujours dans ces formations un certain nombre de "stagiaires type" avec des comportements spécifiques.

Le scolaire

J'appelle comme ça le stagiaire qui joue le jeu à fond: il s'investit dans les exercices, prend la parole pour abonder dans le sens du professeur, ponctue le cours en hochant la tête avec insistance, etc. D'après mon expérience, il s'agit plus souvent d'une femme que d'un homme.

Avoir un ou deux scolaires dans sa formation est un gage de réussite: l'ambiance sera bonne, et le cours vivant.

Le chieur

C'est un peu le scolaire, mais à l'envers, dans le sens où il va intervenir pour contredire le professeur, lancer des polémiques stériles en jouant sur la forme des phrases, couper les cheveux en quatre, réduire le contenu de la formation à ses inévitables lacunes ou contradictions (c'est surtout vrai dans le cas de formation de gestion, de méthode ou d'organisation).

Parfois très nuisible, il peut pourrir une formation si l'intervenant ne sait pas y mettre bon ordre et le cadrer.

Le "Moi, je"

Variante du chieur, il s'agit du stagiaire qui ramène systématiquement tout à sa propre expérience.

Égocentrique ou sincèrement traumatisé, il se la joue plaintif et semble incapable de prendre du recul ou de penser en termes généraux. En permanence, il va tenter de ramener le sujet de la formation à ce qu'il vit dans son projet, qu'il y ait ou non un rapport entre les deux.

S'il arrive à focaliser l'attention de l'intervenant, lui aussi peut faire capoter la formation.

Le blasé condescendant

Ce stagiaire-là se fait chier dans cette formation.

Qu'il la suive contre son gré, qu'il considère qu'elle ne soit pas de son niveau, qu'il pense mériter mieux ou maitriser le sujet bien plus que le guignol qui s'agite au tableau, il va en tout cas le faire savoir.

Pour cela, il va multiplier les poses vaguement méprisantes et les demi-sourires entendus, va faire montre d'un irrespect ostentatoire des conventions (retard systématique sans excuse, jeu sur son téléphone...).

Il pourra aussi aller jusqu'à prendre la parole pour faire quelques remarques dédaigneuses.

La meilleure façon de s'en prémunir est de l'ignorer, car contrairement au chieur ou au moi je, il ne s'abaisse pas forcément à intervenir, et en tout cas ne se bat pas pour si peu.

Le silencieux

Enfin il y a les discrets, les silencieux, ceux qui ne disent rien, restent muets pendant tout le temps de la formation, quelles que soient les raisons de ce silence (timidité, manque d'assurance, désintérêt ou autre). Le plus souvent, les silencieux sont plutôt des hommes.

Il y en a presque toujours un ou deux par séance. Une majorité de silencieux finit par tuer la formation, qui se résume alors à un cours magistral.

Naturellement, tout n'est pas aussi tranché, et chaque stagiaire peut être un mix de tout cela. Mais c'est vrai que j'ai rencontré ces archétypes dans la plupart des formations que j'ai pu suivre.