vendredi 10 août 2012

C'était mieux avant...

Enfant, j’ai eu la chance de bien connaître mes grands-parents. La population du village que j’habitais était largement composée de gens de leur génération, et j’ai grandi dans des conversations ponctuées de mélancoliques « dans le temps » et de « c’était mieux avant ».

Cette petite musique m’a longtemps bercé. Je suis devenu nostalgique d’époques que je n’avais pas connues (mon goût pour l’Histoire vient sans doute de là) et j’ai même parfois eu tendance à développer un désintérêt pour ce qui est récent, ce qui n’a pas fait ses preuves.

Toutefois, au fur et à mesure que le temps a passé, j’ai commencé insidieusement à avoir des doutes.

La première révélation est venue d’un recueil de poésies (d’Alfred de Musset il me semble) que j’ai lu à l’adolescence.

En effet, stupeur, je suis tombé sur un poème où l’auteur parlait de son temps comme d’une époque mécréante, sans foi ni loi, matérialiste et superficielle. Il opposait au marasme contemporain les valeurs disparues du temps jadis: à part le style, il aurait pu être écrit aujourd’hui !

La deuxième révélation a été le revival des années 80.

Lorsque j’étais petit, la télé diffusait régulièrement des scopitones et de vieilles émissions en noir et blanc sur les années yéyé.

Mes parents soupiraient devant ces émissions, opposant cette époque créative aux années 80 vulgaires, déprimées et anglo-saxonisées que nous vivions alors (oubliant que les yéyé étaient avant tout la VF de tubes anglo-saxons, mais bon).

Vingt ans plus tard, la même soupe nous a été resservie, sauf que l’époque bénie, créative, insouciante et heureuse c'était maintenant ces fameuses années 80, celles que l'on dénigrait à l’époque en les comparant aux années 60 (!).

Enfin, la cerise sur le gâteau c'est quand récemment une de mes amies me disait que les jeunes d’aujourd’hui n’avaient plus le respect que nous avions du temps de notre jeunesse.

Là j’ai dit stop, il y a arnaque !

Il est évident que les générations changent, que le contexte d'aujourd'hui est bien différent de celui de nos vertes années.

Mais il n’y a absolument aucune raison de dire que les gens étaient meilleurs avant, aucune raison objective de penser que le monde tournait mieux que maintenant.

Certaines choses étaient peut-être mieux, mais en cherchant un peu, on en trouverait autant qui étaient moins bien: il n'y a pas d'époque bénie et s'il y a une chose de sure, c'est que les gens restent les mêmes.

Ceux qui idéalisent les Trente Glorieuses devraient se rappeler que cette époque a vu les guerres coloniales, une explosion démographique incontrôlée, la ruine du petit commerce et le poujadisme, une inflation et une accélération profonde de la pollution, et que la moitié de l'Europe était alors gouvernée par des dictatures.

Ceux qui vénèrent les années 80 doivent se souvenir de Tchernobyl, des agressions racistes, de la cigarette omniprésente, des grandes affaires de corruption type Urba, de l’épidémie de SIDA, de l’apartheid.

Et tous devraient se souvenir qu’Elvis, que toutes les ligues de vertu avaient condamné, a voulu plus tard faire censurer les Beatles, que les hippies, qui assassinaient le rock’n’roll, ont été à leur tour vomis par les punks, que chaque époque a eu ses rebelles qui ont enterré leurs prédécesseurs.

Tous devraient se rappeler que les premières machines à filer le coton furent détruites par des mouvements d’artisans, avant que leurs descendants devenus ouvriers, refusant la robotisation ou l’externalisation, ne s'accrochent auxdites machines.

Tous devraient se rappeler que l’État providence, qui fait consensus aujourd'hui, fut combattu par une part notable de ceux qui étaient censés en bénéficier et que parfois il fallut employer la force pour imposer sa mise en œuvre.

Tous devraient se rappeler que le projet colonial a été massivement refusé par l’opinion publique, laquelle s’opposa ensuite tout aussi massivement à la décolonisation.

Enfin, tous devraient noter que dans les sondages d'opinion russes et portugais, Staline et Salazar ont une popularité étonnamment haute.

Bref, non ce n’était pas mieux avant, ce qui était mieux c’est qu’avant on était plus jeunes, plus enthousiastes, moins encombrés de réflexes et souvenirs, plus réceptifs, qu'on avait aussi plus de temps et d'énergie pour accueillir les nouveautés.

C'est en fait de cela qu'on est nostalgiques, et l'on regrette les temps révolus parce qu'ils constituent le décor qui va avec, ni plus ni moins.

Et on les regrette d'autant plus qu'avec le temps qui passe, nous sommes tous enclins à filtrer nos souvenirs pour n’en garder que les bons, repeignant en rose un temps passé qui n'était globalement ni meilleur ni pire.

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