mardi 30 mai 2017

Livres (27): L'aimé de juillet

Je n'arrive plus à me souvenir où et quand j'ai lu une critique de L'aimé de juillet de Francine de Martinoir.

Toujours est-il que je l'ai commandé puis lu, et qu'il m’a fait une forte impression.

La narratrice de ce roman très intimiste est une femme, Octavie, qui, depuis la chambre d'hôpital où elle se remet d'une opération, raconte un épisode marquant de sa jeunesse.

Ce souvenir lui revient lorsque la télévision annonce la mort de celui qui fut brièvement son mari, du temps où, fraîchement agrégée, elle avait été envoyée en poste dans la capitale de l’Algérie française finissante.

Membre d’un milieu enseignant de gauche plutôt pro indépendance, elle avait vécu cette affectation comme une corvée et s’était rapidement intégrée à un petit cercle d’Algérois d’opinions similaires, pour la plupart métropolitains et activistes de salon.

Et puis un jour elle avait rencontré Tancrède.

Cet homme, beaucoup plus âgé qu’elle, était un officier de l’armée française au lourd passé, puisqu’il avait connu les camps de concentration nazis pour faits de résistance et la guerre d'Indochine, avant d'atterrir en Algérie.

Rapidement ils se revirent et s'aimèrent, puis se marièrent.

L’irruption soudaine de cet homme changea du tout au tout la vie de la jeune fille.

D’une part elle découvrit l’amour et la vie de couple alors qu'elle avait été jusque-là solitaire et isolée.

D’autre part, en tant qu’épouse de soldat, elle dut se mettre à vivre en permanence sous la protection d’un chauffeur-garde du corps arabe.

A ce désagrément inédit s'ajouta le fait que son nouveau statut lui valut d’être rejetée par ses anciens amis, qui lui reprochaient d’avoir choisi le mauvais camp.

Ce point était d'autant plus injuste que son mari ne communiquait en rien avec elle sur le rôle qu'il jouait dans cette guerre, une guerre qu’elle-même n’appréhendait jusque-là que comme une sorte de décor, une extension un peu abstraite du jeu politique de ses amis parisiens.

En fait, Tancrède se refusait à lui faire partager ses actions, disparaissait pendant de longues périodes, accueillait le soir des gens qui parlaient passionnément de politique puis se taisaient dès qu’elle arrivait dans la pièce, sans qu'elle sache s'il voulait la préserver ou l'exclure.

Au bout de quelques temps de cette vie en porte-à-faux, Octavie commença à nourrir des soupçons envers les réelles activités et convictions de son mari. Au point que finalement, après la mort violente d'un de ses anciennes fréquentations de gauche, elle décida de le quitter.

Ils divorcèrent donc, aussi rapidement qu’ils s’étaient mariés et sans s’être vraiment connus, puis elle rentra à Paris, fermant cette étrange parenthèse algéroise de sa vie.

Jusqu’à ce que l’annonce de la mort de son ex-mari ressuscite tout ce passé: à partir ce moment-là, elle est submergée par mille et une questions.

Elle replonge dans l'état d'esprit de la jeune fille amoureuse d'une énigme qu'elle était à l'époque.

Elle revit leur rencontre, ou plutôt leur non rencontre puisqu’elle se rend compte avoir tout de suite senti chez Tancrède un côté perdu, brisé, insaisissable et lointain.

Le bref reportage télévisé qui déclenche ce retour arrière nous fait comprendre que cet étrange mari fit partie de ces officiers qui mirent leur peau au bout de leurs idées (comme le disait Pierre Sergent), et choisirent le putsch pour respecter ce qu'ils considéraient être la parole donnée.

En fait, comme beaucoup de membres de l'armée d'alors, il avait le rêve chevaleresque d’une Algérie toujours française mais rénovée, égalitaire et offrant ses chances aux indigènes.

Plus tard, Octavie découvre aussi qu’après le putsch il avait continué à s’impliquer dans l’Algérie, notamment en sauvant des harkis.

Au final, lorsque ce livre se termine, il laisse l'impression d'un malentendu, d'un amour un peu raté, inachevé.

Le style de Francine de Martinoir, qui naquit à Damas, vécut à Marseille et a elle-même été enseignante pendant les dernières années de l'Algérie française (l’ont-elles inspirée ?), est très fin, léger, nostalgique.

Avec pudeur et délicatesse, elle nous fait entrer dans la psyché passée et présente de cette femme, dans son histoire intime.

On parvient à voir à travers ses yeux l'image de cette guerre d’Algérie, à la fois si atroce et si irréelle pour la majorité de ses contemporains français.

L'on voit aussi le beau portrait d'un homme aussi fort que brisé, aussi dépourvu d’illusions qu’idéaliste, cet aimé de juillet incompris qu'elle évoque dans un mélange de remords et de regrets.

Ce livre dégage une atmosphère intense et nostalgique, et il se lit magnifiquement bien.

mercredi 24 mai 2017

Mistral gagnant

Mon aîné vient d’avoir 11 ans.

Il entre bientôt au collège, a des grilles aux dents, commence à bien s’intéresser aux filles, veut sortir avec ses copains, ne rêve que de fringues et de smartphone.

Il trouve beaucoup de dessins animés et de jouets ridicules, se moque de l’intérêt que son cadet a encore pour eux, commence à avoir un peu honte de nous devant ses amis.

Plus que jamais s’annoncent les joies de l’adolescence.

C’est tout à fait normal et souhaitable.

Mais comme tant de parents avant et après moi, j'ai le sentiment que c'est arrivé très vite, trop vite. Et quand je revois les photos de son enfance, encore si proche, je ne peux m’empêcher d’être profondément triste.

Mistral gagnant, la célèbre chanson de Renaud que je n’aimais pas quand j’étais jeune me revient alors aux oreilles, avec notamment ce vers si juste dont je ne comprenais pas la profondeur « Le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants ».

L’enfance est un moment de la vie relativement court, puisqu’il dure je dirais entre 10 et 15 ans selon la maturité de l'enfant concerné (je parle bien sûr de nos pays riches), mais dont la marque est profonde, certains disent déterminante, irréversible.

Elle n’est pas qu’insouciance et douceur comme on l’idéalise bêtement, sans doute pas mal à cause du tri des mauvais souvenirs qu’on fait tous avec le temps.

Elle est aussi pleine de découvertes parfois déconcertantes, d’apprentissages, de conflits, de peurs à apprivoiser, de frustrations et de douleurs.

Dans la majeure partie des cas, c’est toutefois une période de spontanéité, d'illusions, de sentiments à fleur de peau, de frontières mal définies entre le jeu, le rêve et la réalité.

C'est aussi le temps de la confiance absolue, des mythes un peu ridicules du Père Noël, de la petite souris, de l'invincibilité des parents.

Ce moment où l’on est tout pour eux ne peut évidemment pas durer (sauf dans le cas d'un handicapé mental mais ce n'est pas mon sujet).

C’est d'ailleurs rassurant puisque avec le temps qui passe nos capacités baissent aussi, jusqu'au moment où l'on "retombe en enfance" justement, inversant les rôles avec ceux que l’on a élevés.

Mais pour la plupart des adultes, l’enfance reste une période fondatrice, une nostalgie puissante, avec ses instants de magie, ses moments initiatiques, ses souvenirs d’autant plus importants que notre regard ne peut plus être le même qu'en ce temps où tout était neuf, vierge et à découvrir.

Notre vision future du monde doit aussi beaucoup à ces premières années, qui nous donnent des réflexes et des bases dont on n’a pas conscience jusqu’au moment où l'on a soi-même des enfants…c'est en tout cas ce qui m'est arrivé.

Aujourd’hui je connais peu de choses aussi merveilleuses que le sourire de joie d’un de mes fils devant une surprise insignifiante, leur tendresse quand ils croient que je vais mal, leur façon de me serrer dans les bras sans calcul et de toutes leurs forces, l'abandon confiant dans lequel ils glissent quand on leur dit que ça va aller, qu'on le croit ou non.

Mais cela va finir, comme tout le reste, et ça a bel et bien commencé comme le souligne ce post.

Oui, le temps est assassin, et ce ne sont pas seulement les rires des enfants qu'il emporte avec lui, mais les siens aussi, en même temps que les décors, les époques et les gens que l'on a croisés, aimés ou détestés.

Joies et surprises des doublages/traductions

J’ai toujours été attiré par les langues étrangères, en premier lieu par l’anglais, tellement présent aujourd'hui.

J’ai ainsi très vite voulu comprendre ce qui se cachait derrière les mots inconnus et étrangers, à traduire tout ce sur quoi je tombais, en commençant par les titres de films ou de livres, généralement venus du monde anglo-saxon.

Or, avec l’âge et mon apprentissage de l’idiome de Shakespeare, je me suis rendu compte avec étonnement que ces traductions n’avaient parfois que peu à voir avec l’original.

C’est notamment le cas pour les titres de films, dont certaines VF valent leur pesant de cacahouètes.

Le présent post va donner quelques exemples de ces intéressantes divagations, qui ne sont d’ailleurs pas forcément liées à une méconnaissance de l’anglais, mais bien souvent à des considérations marketing.

« The deer hunter » (le chasseur de cerf), le classique de Cimino sur la guerre du Vietnam est ainsi devenu le plus spectaculaire « Voyage au bout de l’enfer » en traversant l’Atlantique, sans doute pour être plus percutant.

Le célèbre « Les dents de la mer » qui lança Steven Spielberg s'intitulait plus sobrement à l'origine « Jaws », c'est-à-dire Mâchoires.

Le long-métrage pro-Amérindien « Clearcut » (dont je ne suis pas sûr de la traduction), du Polonais Ryszard Bugajski, est connu en français et pour des raisons que j'ignore sous deux titres différents « La vengeance du loup » et « Terre rouge ».

Dans les films noirs nous avons « The asphalt jungle », où Marylin Monroe fit l'une de ses premières apparitions, devenu « Quand la ville dort » et le « North by Northwest » d'Hitchcock rebaptisé « La mort aux trousses ».

Etc.

Quelques fois on choisit d'alambiquer ou de compléter un titre, comme « Brokeback Mountain » qui se voit flanquer d'un « Le secret de (Brokeback Mountain) » en arrivant chez nous, ou les « Twelve monkeys » qui sont regroupés dans une armée en VF, devenant « L'armée des douze singes ».

D'autre fois, c'est parce qu'il y a une référence culturelle difficile à traduire, comme pour l'excellent « Un jour sans fin » qui s'appelle au départ « Groundhog day », soit le jour de la marmotte, du nom d'une coutume nord américaine inconnue sous nos cieux.

Notons que ce cas-là marche dans les deux sens puisque notre « 37°2 le matin » est devenu « Betty blue » dans le monde anglo-saxon, sans doute parce que les degrés Celsius n’y ont pas cours.

Enfin il y a un type de traduction un peu absurde, qui consiste à remplacer un titre anglais par un autre titre anglais, jugé plus compréhensible ou plus vendeur.

Je me souviens de deux exemples dans les années 90 : « Sexe intentions », adaptation un peu neuneu de nos « Liaisons dangereuses » nationales, et « Sex crimes », sympathique polar à tiroirs qu'une scène de partie à trois a rendu célèbre.

Et bien les titres originaux respectifs de ces deux films étaient « Cruel intentions » et « Wild things » ! Inutile d'expliquer le choix de ces pseudo traductions utilisant le mot « Sex »...

Le doublage peut également complètement changer une œuvre.

L'esprit de la mythique série « Starsky et Hutch » a ainsi été modifié par Jacques Balutin qui doublait le personnage de Starsky. Il semble qu’il ait en effet pris un malin plaisir à ajouter des blagues et des traits d’humour là où il n’y en avait pas, apportant à la série une dimension comique bien moindre dans l'original…

On peut trouver une autre bizarrerie dans « L’homme qui valait trois milliards » (qui ne valait que six millions en VO, à cause du rapport dollar/franc de l’époque). Le héros Steve Austin y est en effet décrit comme un homme bio-ionique, terme fantaisiste qui n’existe que dans la série et parce qu’en anglais on dit « BA-IO-NIC », soit une syllabe de plus que le « bionique » du français normal !

Autre élément intéressant: les voix des doubleurs et l’effet qu’elles provoquent.

Lorsqu’on regarde des films doublés on associe spontanément un acteur à la voix de son doubleur, qui est souvent le même dans tous les films.

Ces associations peuvent être si fortes et certaines signatures vocales si spécifiques que si le doubleur change on peut en être perturbé.

Ainsi que seraient Sylvester Stallone sans la voix d'Alain Dorval, Robert De Niro sans celle de Jacques Frantz ou encore les « noirs cool » d'Hollywood -comme Eddy Murphy- sans celle de Med Hondo ?

Terminons en soulignant ce paradis des traductions de titres qu’est le Québec, qui met en français absolument tous les titres de film, générant son lot de moments hilarants.

A lire :
- Dans ce post je parle de l'histoire hors du commun de la doubleuse roumaine Margareta Nistor
- Quelques tops de traductions ICI et ICI
- Quelques doubleurs célèbres ICI

vendredi 12 mai 2017

Le fantasme du village

Le Monde a fait un article sur ce que représente le village dans la psyché française d'aujourd'hui.

Il décrit l'espèce de rêve villageois qui est désormais un lieu commun pour une grande partie des habitants de notre pays, très majoritairement urbanisé.

Beaucoup d'idées se mélangent dans ce rêve, parfois basé sur la nostalgie de ceux qui associent au village des souvenirs d'enfance, généralement des vacances chez les grands-parents.

Il y a l'idée de nature préservée de la pollution, un côté Éden retrouvé.

Il y a celle d’un supplément d'espace, avec la possibilité d'avoir une maison, de la terre, des mètres carrés en plus (surtout lorsqu'on vient de Paris).

Il y a l’idée d’un rythme plus humain, moins trépidant, de gens qui "prennent le temps de vivre", comme on dit.

Il y a souvent le côté communauté, vue comme une protection, un cocon rassurant par rapport à l'anonymat des grandes villes et à leur insécurité.

Pour certain enfin, il y a aussi l’idée de marginalité, d’une possibilité de se mettre à l’écart, de rompre avec le monde dominant.

Moi qui ai grandi dans un village, un vrai, un qui est actuellement moribond, qu’est-ce que je peux dire de tout ça ?

J’ai déjà parlé du monde paysan dans un vieux post, je vais plutôt m’attarder sur le côté village et les arguments cités.

Premier point, la nature préservée de la pollution.

En fait, beaucoup de gens n'en ont pas conscience, mais les paysans ne sont pas forcément écolos.

Je dirais presque au contraire.

En effet, la Nature est leur décor mais aussi leur outil de production, à travers lequel ils construisent leur revenu, et elle représente également un ensemble d'aléas qu'il faut réduire au maximum.

Aussi la millénaire catégorisation des espèces entre utiles et nuisibles y reste souvent d'actualité.

Tuer les ours ou les loups pour préserver son cheptel, les sangliers et les chevreuils pour préserver ses cultures, utiliser des pesticides et des engrais pour minimiser les pertes et maximiser la production, des médicaments en pagaille pour éviter le drame des épizooties, tout cela reste des réflexes pour bon nombre d'entre eux.

Et si l'on réfléchit, c'est justifié, car les conséquences d'un raté sont souvent dramatiques pour des gens qui se sont très généralement endettés à haut niveau et dont les revenus, naturellement plutôt bas, dépendent également de cours volatils alors que leur travail se fait sur le long terme.

J'ai ainsi pu voir à la campagne beaucoup de choses qui feraient rougir n'importe quel urbain à sensibilité écolo: décharges sauvages, cruauté sur les animaux, déchets toxiques brûlés ou enterrés...pas plus de respect religieux d'une Sainte Nature ici qu'ailleurs.

J'ajouterai que contrairement auxdits urbains écolos qui en ont complètement perdu le contact, les paysans savent que la Nature n'est pas la puissance bienfaitrice dont on peint si souvent un tableau idyllique.

L'idée qu'elle est au contraire fréquemment cruelle, arbitraire, difficile et qu'elle peut devenir une ennemie reste dans la psyché.

Deuxième point, le supplément d’espace.

Il est réel, le prix au mètre carré en zone rurale faisant sangloter tout Parisien de passage. Mais ce que ces derniers oublient, c'est que plus grand espace veut aussi dire plus grandes distances et offres de soins, de commerces ou de culture plus restreintes.

Le premier médecin est à plusieurs kilomètres, les supermarchés également, les infrastructures, les lieux culturels, etc.

C'est d'autant plus marqué avec le désengagement croissant de l’État, qu'on constate avec les fermetures de lieux emblématiques comme l'école, la poste, la gendarmerie, etc.

Et du coup sans voiture on n'est rien. C'est déjà souvent vrai en province, ça l'est encore plus en campagne.

Et donc cette dispersion induit, outre un surcoût inattendu pour qui est habitué à faire ses courses à pied et à utiliser une carte orange pour aller au concert ou au resto à l'improviste, un véritable changement de mode de vie.

Il faut optimiser les déplacements, stocker plus, s'organiser différemment. Qui se retrouve à gérer le centre aéré de ses enfants réparti sur plusieurs communes sait de quoi je parle.

Troisième point, le rythme plus humain.

Et bien là encore ça dépend. Comme je le dis au paragraphe d'avant, il y a au minimum un surcroît d'organisation à prévoir. Et l'on peut travailler beaucoup à la campagne aussi.

Bon nombre de paysans continuent à ne pas compter leurs heures, les artisans et les commerçants doivent souvent faire de très longs trajets ou être ouverts sur de très grandes amplitudes horaires pour arriver à l'équilibre financier, et beaucoup peinent ou tirent la langue.

Quant au dernier point, la communauté, et bien ce n'est pas si simple non plus.

Dans un village, selon le cliché, tout le monde se connait. Mais ces vraies connaissances viennent du fond des âges, et les apparentements complexes des familles remontent généralement à très loin. Ce n'est pas quelque chose qui vient spontanément.

Et puis une communauté ce n'est pas une bande de potes bisounours. Cela comporte des haines, des rancœurs, des obligations, des héritages parfois lourds à prendre en bloc.

En vérité, une communauté existe souvent d'abord devant l'étranger, c'est-à-dire celui qui arrive et qui peut très facilement rester isolé du reste de la population pendant des années.

De fait, il est fréquent que les rurbains, comme on appelle ceux qui arrivent dans le monde rural, forment un groupe distinct des anciens habitants, des indigènes pourrait-on dire.

Cette séparation peut aller parfois jusqu'à l'hostilité, voire au conflit lorsque la vision du lieu n'est pas la même, et aussi, ce qui arrive bien souvent, quand les nouveaux arrivants n'ont pas le même capital culturel et financier que les villageois.

On se souvient que la cohabitation avec les hippies ne s'est pas toujours bien passée, surtout qu'à l'époque il y avait encore une jeunesse autochtone qui n'hésitait pas à en découdre au lieu de la majorité d'anciens qu'on voit aujourd'hui.

Il y a quelques années, un ami m'a rapporté l'anecdote d'un paysan écrasant, sans doute sciemment, le parterre de fleurs qu'une association avait fait pousser en bordure d'un chemin public, ce qui illustre bien le cas.

On a également tous en tête les altercations entre écologistes et chasseurs paysans du coin, qu'il s'agisse du bombardement de Sophie Marceau s'opposant à la chasse en 1991 ou des bergers excédés par le retour d'ours et loups qui se sont organisés pour les tuer, au grand dam des amoureux -urbains- de la nature qui en organisaient les lâchers.

Ou encore, plus récemment, les violences entre des habitants des Landes et des militants et les affrontements entre les zadistes venus manifester contre le barrage de Sivens et les agriculteurs du coin qui soutenaient le projet.

Dans certains zones, c’est l'installation de riches Parisiens ou Britanniques qui font flamber les prix et remodèlent l'espace à leur image qui est vécue comme une agression, comme par exemple le Lubéron, dont la transformation en réserve de riches oblige les derniers autochtones à quitter les lieux.

D'une manière générale, le monde rural ne correspond donc pas du tout au tableau pastoral coloré et idéal qu'on fantasme.

Les villages ne sont pas des réserves indiennes dont les habitants seraient les dépositaires d'une quelconque "vraie vie" ou d'une sagesse particulière au sens mystico spirituel à la mode.

Ils sont au contraire partie prenante des changements sociaux économiques en cours dans le pays, qui se font rarement à leur bénéfice, et il y a là-bas aussi de la misère, de l'hostilité, de l'incompréhension, bref du mouvement et une vie propre, ainsi qu'un tas de problèmes qu'il ne faut pas sous-estimer.

En vérité, la ruralité est en perte de vitesse depuis des décennies, et le monde du Cheval d'orgueil, de Goupi mains rouges ou de La Horse n'existe plus qu'à l'état de vestiges.

Les rurbains qui arrivent s’intégreront moins à ces lieux qu'ils ne les transformeront. Ce qui n'est ni mal ni bien, il faut juste en avoir conscience.

Ecouter:

Lire:
Sur la gentrification de la campagne anglaise, Tamara Drewe dont a été tiré un film avec Gemma Aterton