dimanche 30 avril 2017

Livres (26): Lettre au père / L'homme qui m'aimait tout bas - Père et fils

Dans le post d'aujourd'hui, je vais évoquer deux livres marquants, chacun à leur manière, qui parlent de la relation père-fils.

Le premier des deux livres, (recommandé par mon beau-père), a été écrit par Franz Kafka et s'appelle justement Lettre au père.

Il s'agit d'un courrier que le célèbre auteur tchèque aurait voulu faire à l'auteur de ses jours et qu'il ne lui a jamais envoyé.

Commencé sur un ton déférent, il se transforme peu à peu en une sorte de réquisitoire et dessine deux portraits saisissants.

D’abord celui du père, qui apparaît comme tyrannique, moqueur, débordant, cruel, contradictoire et plein de colère, voire de mépris pour son fils. Il le critique, interfère dans sa vie, le juge, dénigre ses choix, sans qu’il ne se semble jamais se remettre en question.

Ensuite celui de Franz Kafka lui-même, enfant sensible écrasé par cette personnalité, prenant des coups, tentant de s’adapter à l’image attendue, convaincu de sa propre culpabilité, plein de complexes et de souffrances, puis peu à peu de colère, mais sans jamais arriver à vraiment se rebiffer.

On sent qu’une inépuisable rancœur l’a façonné, et que ce rendez-vous manqué avec l’auteur de ses jours, son incapacité à lui plaire comme à lui dire son fait a constitué un fardeau dans sa vie, une entrave et un regret permanent.

C’est très triste, touchant et très profond.

Ce livre est sorti à titre posthume, longtemps après la mort de Kafka, et l’on dit qu'il a éclairé son œuvre d’un jour nouveau.

L'écrivain semble avoir été obsédé par l’idée d’autorité arbitraire, absurde et destructrice, ce qu’on lie à ce père difficile (n’ayant rien lu d’autre de lui, je ne fais que répéter).

Le second livre est un peu le contraire.

Intitulé L'homme qui m'aimait tout bas, il s'agit de l'hommage ému d'un fils adoptif à celui qui l'avait choisi alors qu'il avait déjà une dizaine d'années, pour le meilleur et pour le pire.

Eric Fottorino, son auteur, est l’enfant naturel d’une jeune Française et d’un Juif marocain qu’il n’a longtemps pas connu.

En effet ses grands-parents s’étant opposés au mariage, ils furent séparés et la malheureuse envoyée dans un village isolé pour éviter le scandale (nous sommes en 1960).

L’écrivain grandit donc seul avec sa mère, jusqu’au jour où celle-ci se mit en couple avec M. Fottorino, un dentiste pied-noir de Tunisie qui un jour vint le trouver dans sa chambre et lui proposer humblement d’être son papa.

L’écrivain dit avec pudeur que ce moment constitua pour lui une deuxième naissance, et que rapidement il se tissa entre les deux hommes un lien de cœur puissant et profond, qui n’avait rien à envier à bien des familles génétiques.

Deux petits frères vinrent compléter la fratrie, les parents se séparèrent à leur tour, le père génétique d'Eric Fottorino réapparut dans sa vie, mais rien n’altéra l’amour qui s'installa entre l’auteur et l’homme qui l’aima tout bas.

Ce livre est un magnifique et touchant hommage à ce père choisi, d'autant plus touchant qu'il fut écrit après que ce dernier se soit tiré une balle dans la tête, surprenant tous ses proches.

Comme pour Kafka, je n’ai rien lu d’autre de cet auteur, mais l’on dit que la question de la paternité et des origines est centrale dans ses romans.

Sans donner dans la psychanalyse de bazar, je pense que le lien père-fils a un poids certain dans la vie d'un homme.

Le père est en effet le premier modèle masculin, la première référence, la figure par rapport à laquelle on va se construire, soit en essayant de la suivre et de l’imiter, soit en cherchant à s'y opposer, soit, le plus souvent, dans un mélange de ces deux attitudes.

Mon histoire avec mon propre père n’est ni celle de Kafka ni celle de Fottorino, mais elle ne fut jamais simple. Nous sommes extrêmement différents et j’ai toujours ressenti cette différence comme un manque.

Depuis la vie m’a fait père de garçons à mon tour, m’obligeant à envisager cette relation depuis l'autre côté.

Retrouver dans leurs yeux l’admiration et l’amour sans calcul que je pouvais ressentir enfant a été un sentiment indescriptible, mélange de bonheur insondable, de craintes et de vertige devant la responsabilité que cela implique.

L’approche de l’adolescence avec ses conflits et mon inéluctable découronnement m’inspire quelques angoisses, même si une part de moi s’en sentira aussi soulagée.

J’espère au final être dans leurs vies quelque chose comme une ancre, un appui, et je serais honoré si je parviens à être le lien entre leur futur et leurs souvenirs d’enfance.

C’est un peu ainsi que je vois la paternité.

vendredi 28 avril 2017

Réflexions sur la beauté

Qu'est-ce que la beauté?

Même si on dit qu'elle est relative et que les critères en sont différents selon le pays et l'époque, force est de reconnaître que partout et de tout temps il y a eu des gens beaux et d'autres qui l'étaient moins.

Et que la beauté est et fut toujours un facteur discriminant, qui hiérarchise, aide ou handicape.

Dans n’importe quelle collectivité, les beaux exercent une sorte d’attraction sur les autres, qui cherchent spontanément leur compagnie et/ou leurs faveurs.

Et a contrario, les gens au physique plus ingrat sont plus facilement isolés, mis à l’écart et ostracisés.

C’est assez flagrant lorsqu’on regarde une cour d’école, une colo ou n’importe quel groupe de jeunes : la hiérarchie y est aussi nette que cruelle.

Force est aussi de constater que les gens se fréquentent également selon ce critère, plus ou moins inconsciemment. Avec l’origine sociale, la religion ou la politique, la beauté fait partie des facteurs de regroupement.

Être beau ouvre indéniablement des portes. Par défaut, on est plus indulgent avec eux, plus enclin à la sympathie, on cherche à leur plaire, avec ou sans sous-entendus de séduction.

Je me souviens, lorsque j'étais étudiant, de m’être trouvé à travailler avec un fumiste je-m’en-foutiste insupportable, mais doté d’un physique d’Apollon: son sourire lumineux faisait passer nombre d'écarts qu'on n'aurait pas pardonnés à d'autres.

Plus tard, lors d'une mission professionnelle, il y eut aussi cette jeune Irlandaise, jolie blonde aux yeux bleus à qui tout le monde avait proposé de l’aide à son arrivée dans mon équipe. A côté d’elle une collègue plus ronde et au visage moins avenant avait dû se débrouiller seule.

On peut multiplier ces exemples, qu’on a tous à l’esprit, surtout quand on ne fait pas partie des beaux.

Pire encore, la beauté peut être associée à la vertu et la gentillesse, et la laideur au vice et à la méchanceté.

C'est flagrant dans les contes et les romans d'amour type Barbara Cartland, où l'héroïne est belle et la méchante laide.

Et il fut même un temps où l'on liait laideur physique et morale, affirmant qu'on pouvait voir les penchants criminels d'une personne en regardant son visage (théorie débile, bien sûr, comme l'illustra le cas du serial killer Ted Bundy).

La beauté peut pourtant être également difficile à vivre.

Être trop beau peut intimider, voire susciter l'hostilité, et les personnes très belles sont aussi souvent systématiquement résumées à ça.

Par exemple les réussites d'une femme intelligente et compétente seront souvent attribuées à des passe-droits et du favoritisme si en plus elle est belle.

Les rapports du beau avec les autres sont également faussés par l’attirance, toute marque de sympathie pouvant cacher un désir inavoué.

Il est clair en tout cas que, comme la richesse ou la force, la beauté est une donnée très importante dans les relations humaines et qu'elle fait partie de ce qui définit la place d'une personne dans la société.

Néanmoins il reste difficile de définir précisément ce qu’est la beauté.

Est-ce l'harmonie, la régularité, la jeunesse, la santé? Est-ce le corps, le visage, le maintien, l’attitude ? Quelle est la part de la mise en valeur (maquillage, vêtements…), la part de la nature, la part de l'attitude ?

Les canons de la beauté ont varié et varient encore.

Beaucoup de femmes d'aujourd'hui se plaignent du modèle unique incarné par la femme blanche occidentale.

Mais je ne suis pas convaincu qu’il soit si universel que ça, et qui regarde sans filtre peut trouver de la beauté sur n’importe quel type de physique.

Le métro est un excellent endroit pour vérifier ça, offrant le spectacle des mille et un exemplaires des types de beauté qu'il existe.

La photographe roumaine Mihaela Noroc, dont le nom (qui est peut-être un pseudonyme d'ailleurs) signifie « chance », a eu l’étrange et excellente idée de se lancer dans une sorte de tour du monde de la beauté.

Allant de pays en pays, elle y rencontre des femmes qu'elle convainc de poser pour elle dans les vêtements de leur choix.

De ces photos elle a fait un site qui expose de magnifiques illustrations de ce mystère qu’est la beauté, si injuste et si fascinante.