vendredi 5 août 2016

Langues internationales (2): le Français

C'est bien longtemps après avoir introduit cette série que je crée ce second post sur les langues internationales. Et après la langue internationale par excellence qu'est l'anglais, je vais m'intéresser aujourd'hui à ma chère langue natale, le français.

I. D'où vient le Français?

- Origines

Le Français est une langue latine, c'est-à-dire issue des parlers de l'empire romain qui ont essaimé dans toute l'Europe au fur et à mesure de son expansion. Le latin s'est ainsi peu à peu imposé après la conquête de la Gaule.

Le Grec a également donné de nombreuses racines dans notre vocabulaire, que ce soit via le latin ou via des implantations territoriales plus anciennes, comme à Marseille par exemple.

A contrario, les tribus celtiques qui peuplaient notre territoire ont laissé très peu de traces dans la langue français (on estime que c'est moins de trois ou quatre cent mots).

Enfin, lorsque les invasions dites barbares eurent raison de l'empire romain, le français s'enrichit d'une couche linguistique germanique, la langue et le pays prenant même le nom d'un de ces nouveaux maitres, les Francs.

Grosso modo, c'est de ce substrat qu'est sorti le français, même si la langue a bien évidement reçu et reçoit encore d'autres influences, via ses conquêtes, son commerce, ses relations internationales ou son immigration.

C'est ainsi par exemple que de nombreux mots originaires du Maghreb puis de l'Afrique noire sont passés dans la langue, généralement après un stade argotique, qu'il soit militaire ou banlieusard.

Mais l'influence la plus récente et la plus forte est celle de l'anglais. La France n'a en effet pas échappé à la domination culturelle et économique des USA, et son vocabulaire s'invite massivement dans notre langue comme dans toutes les autres.

- Caractéristiques et législation

Le français utilise l'alphabet latin et ses 26 lettres de base, auxquelles s'ajoute un certain nombre de voyelles accentuées, ainsi que le c cédille, (ce caractère étant d'ailleurs présent dans le nom même de la langue).

Une des difficultés de notre idiome est qu'il n'y a pas de correspondance automatique entre l'écrit et l'oral, ce qui entraine de nombreux homonymes (citons le célèbre "ver/vers/vert/verre/vair") et autant d'exceptions (par exemple le mot "femme" qui se prononce "fame" pour en citer un des plus banals).

De plus, lorsque la langue s'est stabilisée, elle a conservé nombre d'archaïsmes et subi de curieuses transformations.

Deux illustrations de ces résidus historiques: les "s" qui se sont transformés en accent circonflexes ("hospital" devenu "hôpital" ou "baston" devenu "bâton") et les restes de déclinaisons (un animal / des animaux).

C'est François 1er qui imposa en 1539 le français comme langue officielle et administrative du royaume, par l'ordonnance de Villers-Cotterêts (avant cela, c'était le latin, langue de l'élite européenne et de l'église catholique, qui avait ce rôle).

Cette mise en place fut poursuivie par le cardinal de Richelieu qui en 1635, soit presque un siècle après l'édit de François 1er, créa l'Académie française.

Cet organisme fut chargé de structurer la langue française, d'établir des normes, d'empêcher une dichotomie entre écrit et parler, bref, de mettre au point un standard et d'établir une référence pour tous ses locuteurs.

Ouverte dès le début aux différentes composantes de la société (les roturiers y côtoyaient nobles et hommes d'église) elle a poursuivi cette mission au cours des siècles, s'adaptant à l'époque, s'ouvrant aux femmes avec Marguerite Yourcenar en 1980 puis aux francophones de l'étranger avec Léopold Sedar Senghor en 1983.

Malgré ce cadre légal, ce n'est que bien plus tard que le français devint la langue maternelle de l'ensemble des habitants du pays.

On estime ainsi qu'à la fin du Second Empire (1871), une commune de France sur quatre n'était pas francophone. Et jusqu'au début du vingtième siècle, des régions entières ne le parlaient quasiment pas, soit qu'une autre langue vivante locale soit utilisée quotidiennement, comme en Bretagne, soit parce qu'on utilisait prioritairement un patois.

J'ai moi-même rencontré un Alsacien né en 1976 qui n' avait appris le français qu'en arrivant à l'école, et une bonne partie des gens de la génération de mes grands-parents s'exprimait prioritairement en patois.

II. Expansion de la langue française

- La France, puissance démographique

La première raison de l'importance que prit le français était tout simplement démographique.

En effet, la France fut longtemps le poids lourd européen qui en nombre d'habitants comme en taille, dominait de très loin tous ses challengers: en 1600 par exemple, il y avait déjà 20.000.000 de Français (à titre de comparaison, le Royaume Uni n'atteignit ce nombre qu'au milieu du XIXième siècle). Ce poids se répercutait mécaniquement sur le nombre de locuteurs.

- La France puissance culturelle, économique et militaire

Une fois que les sanglantes guerres de religion furent terminées, le royaume connut une période de puissance et de prospérité, qu'on appelle le Grand siècle et qui correspond à peu près au règne de Louis XIV.

La France dominait alors l'Europe, tant d'un point de vue militaire que culturel. Elle constituait un modèle ou un anti-modèle pour le reste du continent, et sa langue devint celle des élites, remplaçant le latin. Pour une assez longue durée, les diplomates, les intellectuels et les artistes parlèrent français.

Le bouleversement violent que constitua la Révolution de 1789, que beaucoup d'historiens classent comme le début du décrochage de la France par rapport à son voisin britannique, ne remit pas en cause cette domination linguistique.

Au contraire même, comme l'arabe fut la langue de l'islam ou le russe la langue du communisme, le français devint celle du messianisme révolutionnaire, porté aux quatre coins du continent par les armées de ce qu'on appelait alors "La Grande Nation", et il conserva son rang jusqu'à la deuxième moitié du vingtième siècle.

- La France, puissance coloniale

La deuxième raison de l'expansion du français est son histoire coloniale.

En effet, les dirigeants français, quel que soit le régime, suivirent longtemps d'ambitieuses politiques étrangères et se lancèrent dans de grandes conquêtes.

Une des premières, qu'on oublie souvent, fut celle de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant.

Certes il s'agissait de la Normandie et pas de la France, mais elle a toute sa place dans ce post puisque c'est à cette occasion que le franco-angevin devint la langue officielle du Royaume-Uni, ce qui transforma en profondeur la langue anglaise, dont le fonctionnement germanique fut considérablement épuré.

On distingue ensuite deux grandes ères coloniales.

La première commença sous François 1er, lorsqu'à l'instar des puissances du nord (Angleterre et Pays-bas) ce dernier remit en cause le traité de Tordesillas qui partageait le monde entre les deux puissances ibériques, déclarant qu'il ne voyait pas de quel droit il était exclus du testament d'Adam.

Pendant deux siècles, des conquérants, marchands, géographes et aventuriers quittèrent l'Hexagone pour se tailler des fiefs et parfois les rattacher à la couronne de France. Je dis parfois car les dirigeants français répugnaient à laisser sortir des gens du royaume, considérant cela comme un gaspillage de sang français.

Cette répugnance fut l'une des causes de la perte de l'essentiel de cet empire, dont les fleurons tombèrent aux mains des Anglais et des Américains, qu'une politique plus volontariste avait amené à peupler les nouvelles terres et à s'assurer la domination des routes maritimes.

Durant cette période, la France étendit son autorité, plus ou moins longtemps et plus ou moins en profondeur, sur plusieurs points du globe.

En tête il y avait plusieurs îles des Antilles, dont la stratégique Saint-Domingue qui assurait de substantielles rentrées financières à Paris grâce à une production intensive de sucre basée sur l'esclavage.

C'est justement pour pourvoir ces îles en main d’œuvre servile que plusieurs comptoirs furent établis en Afrique, notamment au Sénégal, et qu'une implantation dans diverses îles des routes atlantiques, comme les Malouines, fut tentée.

En Amérique continentale, la France conquit l'hostile et longtemps inutile Guyane, ainsi que des territoires immenses dans l'Amérique du nord: tout l'ouest du Canada (le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve), ainsi que la gigantesque Louisiane, qui comprenait en théorie toutes les terres jouxtant le Mississipi de la Nouvelle Orléans jusqu'aux grands lacs.

En Inde, l'aventurier Dupleix établit un embryon d'empire (qui finit par se limiter à quelques villes du fait d'un désintérêt du royaume), et plusieurs îles et archipels (Mascareignes et Seychelles notamment) furent conquis pour lui garantir une liaison fiable vers la métropole.

Enfin il y eut des établissements en Océanie.

Mais la quasi totalité de cet empire changea progressivement de mains. A chaque grand conflit de la la France en voyait un bout s'en aller, généralement au profit de l'Angleterre.

Ce dépeçage et cette rivalité prirent fin lorsque après la chute de Napoléon 1er Paris et Londres devinrent alliés, cette alliance s'imposant face à la nouvelle puissance montante du continent qu'était l'Allemagne.

C'est grosso modo à partir du moment où cette dernière eut écrasé la France et annexé l'Alsace-Moselle, en 1871, que commence la deuxième ère coloniale. Le chancelier allemand Bismarck encouragea d'ailleurs cet expansionnisme vers l'extérieur pour détourner Paris de l'idée de revanche.

Le gros des conquêtes eut lieu en Afrique, même si l'Asie ne fut pas oublié avec la constitution de l'Indochine française, et cette politique aboutit aux fameuses "tâches roses" sur la carte du monde, familière à tous les écoliers français nés avant les années 50.

Toutefois, ce deuxième empire finit par rejoindre le premier dans les manuels d'histoire, lorsque les peuples colonisés s'émancipèrent et reprirent peu à peu leur liberté. Les indépendances des Comores, en 1975, et des Nouvelles-Hébrides en 1980, mirent un terme final à une aventure de plusieurs siècles.

Je n'ai fait ce bref rappel d'une longue et tumultueuse histoire que parce que ces conquêtes ont constitué autant d'occasions d'exporter la langue française Outre-Mer, selon le même processus que le portugais, l'espagnol ou l'anglais.

- Les outils de promotion du français à l'étranger - avant la décolonisation

Très tôt, les dirigeants français ont pris conscience que l'exportation de la langue et de la culture françaises était un bon moyen d'exercer un soft power à l'extérieur des frontières, et ils mirent en place des politique de promotion active du français à travers le monde.

La manière la plus simple était bien sur d'exercer directement le pouvoir sur un territoire. Il suffisait de l'imposer comme langue officielle.

Mais pour les pays non conquis, c'est via sa domination culturelle que la France amenait les élites à apprendre sa langue. Celle-ci resta longtemps la langue diplomatique par excellence, et celle qu'on apprenait par défaut à l'étranger.

Ce quasi monopole commença à changer lorsque la France rencontra des concurrents qui entendaient bien imposer leurs propres règles et leurs propres langues. Paris décida alors de conforter et renforcer ses positions par d'autres moyens.

Un de ceux-ci fut l'Alliance française, créée peu après la défaite de 1871 face à la Prusse.

Ce réseau, qui existe toujours (leur site ICI), propose un peu partout dans le monde des cours de langue, des animations culturelles, des bibliothèques et constitue un point d'appui précieux aux écoles et lycées français de l'étranger (qui eux, relèvent directement de l’Éducation nationale).

Plus anciennement, les Juifs de France contribuèrent à ce rayonnement en créant l'Alliance israélite universelle (qui aurait justement inspiré l'Alliance française).

Cette organisation avait pour but l'amélioration des conditions des juifs du monde entier, le rapprochement de ces composantes et sa protection physique (les violences étaient en effet récurrentes, notamment dans les mondes slave et arabe).

L'Alliance israélite créa pour cela un réseau d'écoles dans les pays de la diaspora, écoles dont l'enseignement était basé sur la langue et la culture française.

C'est ainsi que cette institution contribua à son échelle au rayonnement de la France, vue par les Juifs avec reconnaissance car c'était le premier pays qui les avait émancipés (c'était avant l'affaire Dreyfus).

Elle existe encore de nos jours (son site ICI) même si le centre de gravité du monde judaïque a basculé vers Israël et que la langue de référence est naturellement devenue l'hébreu.

En parallèle, Paris conforta le statut de sa langue en s'ingéniant à l'imposer statutairement dans la plupart des organismes internationaux.

A l'ONU elle est l'une des deux langues de travail (l'autre étant bien sur l'anglais).

Lorsque Pierre de Coubertin inventa les Jeux Olympiques modernes, elle en devint la langue officielle.

Lorsque fut créée l'Union postale universelle, elle en devint la langue officielle (d'où l'international "Poste restante"),

Etc.

- Les outils de promotion du français à l'étranger - après la décolonisation

Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et la décolonisation, la France a subi un déclassement relatif à l'échelle du monde.

D'une part elle ne domine plus, au sens premier du terme, l'immense empire qui fut le sien. D'autre part, sa culture, son influence et sa langue sont partout concurrencées par des cultures locales ou par des challengers plus puissants et/ou plus attractifs, l'anglais en tête.

Cette compétition peut ou a pu être extrêmement violente.

Dans l'Amérique anglophone, canadienne ou étasunienne, les pouvoirs ont essayé d'éradiquer purement et simplement le français, interdit d'école ou sur la voie publique.

Le slogan "Speak white", à la fois francophobe et raciste, reste un marqueur pour tous les francophones nord-américains d'un certain âge.

Au Canada, le fait français réussit néanmoins à être officialisé, suite à la Révolution tranquille et il est aujourd'hui langue nationale.

En Europe, c'est en Belgique que la compétition est la plus violente, le nationalisme sourcilleux de la communauté flamande, très longtemps dominée par les Wallons, l'entrainant à interdire le français dans certaines communes.

Au Maghreb, des politiques volontaristes d'arabisation furent lancés, avec pour but explicite d'effacer l'héritage français, vu comme "la nuit coloniale" pour reprendre une expression du pouvoir algérien.

Ce dernier est le plus acharné à tourner la page, sans doute parce que c'est dans ce pays que la colonisation fut la plus longue et la plus profonde.

Aussi, afin de maintenir son influence et son soft power dans ce nouveau contexte international, la France a dû inventer d'autres moyens, notamment en misant sur la coopération.

C'est dans cet esprit que fut créée en 1967 l'Organisation Internationale de la Francophonie ou OIF (site ICI), qui regroupe sur un pied d'égalité des pays ayant en partage la langue française (même si parfois le lien est très ténu).

Trois types d'adhésion existent (membre de plein droit, membre associé et membre observateur), et si l'idée première est évidemment la promotion de la langue française, ses missions se veulent aussi proches de celles d'une ONG: promotion de la diversité, de la démocratie, de l'aide au développement, etc.

A noter que deux candidats a priori naturels sont absents.

Il s'agit de l'Algérie, longtemps deuxième pays francophone mais qui a toujours refusé d'adhérer et d'Israël, dont la candidature n'a jamais été acceptée à cause de l'opposition du monde arabe, très représenté dans la francophonie (d'ailleurs la majorité des francophones israéliens sont d'origine nord-africaine, surtout marocaine).

A côté de l'OIF existent d'autres organismes plus spécifiques, comme le CODOFIL (lien ICI), dédié au soutien de la francophonie dans l'état américain de Louisiane.

Toutefois, les acteurs sont unanimes pour dire que les fonds ne suivent plus et que la France est moins généreuse dans son effort que par le passé.

III. Quel avenir pour le français?

La présence de la langue française reste importante sur le globe.

Mais si l'on compare sa situation avec celle de ses concurrentes, trois particularités la distinguent.

La première c'est que la France reste le plus grand pays francophone, ce qui la singularise par rapport aux autres ex-puissances coloniales européennes. En effet, les USA ont dépassé l'Angleterre en nombre de locuteurs, le Mexique a dépassé l'Espagne, le Brésil a dépassé le Portugal, etc...

On prévoit toutefois que l'Hexagone pourrait être dépassé par la République Démocratique du Congo à moyen terme.

La deuxième caractéristique, qui explique largement cette centralité de l'ex-métropole, c'est le fait que la France exporta très peu de colons dans les territoires qu'elle conquit, à l'exception du Canada, de l'Algérie et de quelques îles du Pacifique comme la Nouvelle Calédonie.

Les raisons en furent variées: territoire métropolitain lui-même sous-peuplé, croissance démographique précocement en baisse, répugnance des gouvernants à encourager les départs, plus de possibilités de vie décente en métropole...

En tout cas, le résultat c'est que les Français ont très peu de "cousins" génétiques, et quand il y en a ce sont des minorités: Québécois et Acadiens/Cajuns en Amérique du nord, ex-maîtres de l’île Maurice, Pieds-Noirs jusqu'à leur expulsion...

Il n'y a en fait pas eu d'équivalents des Néo-Zélandais pour les Anglais ou des Chiliens pour les Espagnols, aucun de ces relais qui portent naturellement une langue puisqu'elle est celle de leur groupe d'origine et que ce groupe domine la colonie.

Enfin, la troisième particularité, qui là encore est un peu lié à cet aspect, c'est qu'à part en France même, le français est à peu près partout en statut de cohabitation avec une ou d'autres langues, officielles comme avec le néerlandais en Belgique, ou officieuses comme avec le wolof au Sénégal.

Faisons maintenant un petit tour d'horizon, continent par continent, de la situation et de l'évolution de la langue française.

- En Europe

Hormis son berceau géographique, le français est la langue maternelle de 41% des Belges, soit dans les quatre millions de personnes, de 20% des Suisses, soit dans les deux millions de personnes, et de  quelques habitants du val d'Aoste, du Luxembourg, etc.

Longtemps la première langue étrangère apprise dans une majorité de pays du continent, notamment dans le sud, elle s'est fait supplanter à peu près partout, au détriment de l'anglais, mais aussi de l'espagnol.

C'est flagrant lorsqu'on voyage: si beaucoup de sexagénaires italiens, roumains ou portugais savent s'exprimer en français, tous leurs enfants sont passés à l'anglais.

- En Asie

Le poids du français n'a jamais été très fort en Orient, à l'image de sa présence coloniale limitée à l'ex-Indochine et aux comptoirs indiens.

La présence américaine puis la tutelle russe pour les premiers, le rattachement précoce à l'Inde pour les seconds balayèrent à peu près toute trace du français, qui est toutefois encore pas mal appris, notamment au Japon (il est ou fut jusqu'à récemment la deuxième langue étrangère la plus apprise).

- En Amérique

Le fait français au Canada est désormais reconnu. Notre langue y est la deuxième officielle, la première au Québec et bénéficie d'un certain poids dans la partie de l'ex-Acadie qui correspond au Nouveau-Brunswick (il y vivrait un tiers de francophones).

Toutefois, elle est en recul.

En effet, la fécondité canadienne -et québécoise- est désormais basse et la population du pays augmente surtout grâce à l'immigration.

Or le statut canadien permet de choisir sa langue. L'anglais étant incomparablement plus attirant, surtout dans cette région proche des USA, une majorité des migrants (dont une bonne moitié des nouveaux Québécois) choisit la langue de Shakespeare, ce qui aboutit à un recul progressif du poids des francophones.

Ainsi l'on dit que Montréal est maintenant bilingue, au point d'inspirer à la municipalité des campagnes de promotion du français. Et les monolingues francophones semblent moins bien placés sur le marché du travail.

Aux États-Unis en revanche, les créoles sont assimilés, et les cajuns qui restent ne sont quasiment plus francophones. Le français n'est plus qu'une langue étrangère parmi d'autres (dont l'enseignement, jadis prédominant, recule par ailleurs).

En Amérique latine, le recul est également patent. Alors qu'aux indépendances beaucoup de pays regardaient vers la première puissance latine qu'était l"Hexagone, les États-Unis ont vite pris le leadership exclusif (en application de leur doctrine Monroe).

D'autre part les hispanophones commencent à se mettre au portugais et vice-versa (ce qui est somme toute plutôt logique).

Néanmoins, la souveraineté française sur la Guyane ainsi que sur certaines Antilles garantit un point d'ancrage au français dans le nouveau monde.

Notons aussi qu'il est langue officielle en Haïti (où la majorité des gens ne le parlent cependant pas) et qu'il constitue la base de plusieurs créoles (comme à la Dominique).

- En Océanie et dans l'océan indien

Avec les USA, la France est le seul pays à n'avoir pas décolonisé en Océanie. De vastes territoires aux statuts divers y dépendent ainsi de Paris, et empêchent la zone de devenir un lac anglo-saxon (ce qui irrite semble-t-il les Néo-Zélandais et surtout les Australiens, ces derniers ayant progressivement pris le contrôle des îles indépendantes).

Le français bénéficie donc assez naturellement de relais là-bas aussi, et il est également langue officielle dans l'archipel de Vanuatu.

Si l'on va vers l'océan indien, on peut noter que la France y possède encore deux territoires, la Réunion et Mayotte, où le français est officiel, que notre langue continue à vivre à l'ile Maurice et qu'elle est à la base du créole des Seychelles.

- En Afrique et dans le monde arabe

Depuis de longs siècles, la France et le monde arabe entretiennent des relations particulières, et la position du français y fluctue selon les pays.

En Égypte, longtemps francophile, les expulsions des minorités cairotes européennes, juives et libanaises décidées par Nasser ont porté un coup sérieux au français levantin qui y était devenu une langue vernaculaire.

Au Liban, les Maronites, chrétiens francophiles traditionnellement clients de Paris, dominèrent longtemps le pays.

Mais l'expansion démographique des chiites et des réfugiés palestiniens, couplée à l'émigration des élites chrétiennes ont entraîné là aussi un recul du français.

Notre langue a cependant connu un certain regain lorsqu'une partie des Libanais d'Afrique francophone (notamment de Côte d'Ivoire) rentra au pays pour fuir les grandes crises des années 90.

La situation linguistique du Maghreb est plus complexe.

Dans ces trois pays, les peuples autochtones sont berbères.

Du Maroc (le plus) à la Tunisie (le moins) des communautés ont conservés les langues de leurs ancêtres, plus ou moins structurées et plus ou moins unifiées, mais en tout cas bien vivantes et même parlées de manière exclusive dans certaines zones.

La conquête arabe a amené avec elle sa langue, mais celle-ci se greffa essentiellement dans les villes et s’abâtardit considérablement avec le temps, gardant toutefois un fort prestige, notamment du fait que c'est la langue du Coran.

Vinrent ensuite les réfugiés chassés d'Espagne, les présides portugaises et espagnoles, les colonisations étrangères enfin, turque puis française pour l'Algérie et la Tunisie, espagnole et française pour le Maroc.

Et au vingtième siècle, le français devint la langue la plus importante, et celle qu'il fallait parler pour progresser socialement.

Lorsqu'ils conquirent leur indépendance, les trois pays décidèrent de gommer l'héritage colonial, choisissant de se tourner vers un passé arabe mythifié en se raccrochant exclusivement à cette langue.

Aujourd'hui, ces revirements font que la la situation est la suivante.

Il y a de très fortes enclaves berbérophones, plus ou moins importantes mais d'autant plus revendicatives qu'elles furent longtemps niées.

Il y a une langue arabe d'importation, enseignée par des lettrés venus du Golfe ou d’Égypte, qui a produit une élite littéraire et religieuse, mais qui est finalement également une langue d'importation et qui offre assez peu d'ouverture sur le monde moderne.

Il y a enfin les arabes dialectaux, la langue parlée, truffée de berbérismes, de francismes, d'hispanismes et de régionalismes de toute sorte.

Au Maroc comme en Algérie ou en Tunisie, c'est cette langue, non reconnue et plutôt méprisée, qui est finalement la plus parlée et celle de tous les jours pour la majorité des gens. Certains militent néanmoins pour la reconnaitre, la codifier et en faire la langue officielle.

En attendant on constate qu'il n'y a pas de challenger naturel au français, qui demeure très présent.

Il reste langue d'enseignement, surtout pour les matières modernes telles que l'économie ou les sciences (il offre accès à bien plus de documents et publications que l'arabe).

Et il est un marqueur social pour des élites qui gardent un pied à Paris et voient dans la France le prolongement naturel de leurs ambitions (d'ailleurs depuis des décennies, les pays du Maghreb restent en tête de nos migrants).

Cette situation persiste malgré des politiques de rejet et d'éradication parfois très fortes, comme en Algérie qui refuse même, comme on l'a dit d'adhérer, à l'OIF.

Au Maghreb on a donc un balancier permanent entre rejet du français et prise en compte pragmatique de cette langue, qui par ailleurs peut s'avérer un atout sérieux, comme l'intelligente offensive politique, économique et religieuse du Maroc vers l’Afrique francophone le souligne.

Quoi qu'il en soit, cette situation un peu bâtarde semble pérenne pour encore quelques années (ICI et ICI des réflexions sur cette situation).

Mais, bien plus qu'au Maghreb, tout le monde s'accorde sur le fait que l'avenir du français se situe en Afrique subsaharienne.

Un grand nombre de pays officiellement francophones se situe en effet dans cette région du globe, qui connait la plus forte expansion démographique de la planète, notamment dans la partie sahélienne.

Leurs populations sont dans une grande proportion analphabètes, et linguistiquement très divisées. Dialectes et langues purement orales y abondent et se font concurrence, ce qui fait que le français reste la langue logique quand il s'agit d'alphabétisation.

Cette vitalité démographique fait que la part du français sur le globe devrait augmenter au cours du siècle, et le centre de gravité de la francophonie pourrait même à terme basculer dans cette région.

D'autant que beaucoup de pays voisins de la zone et qui sont de petites enclaves en francophonie (tels que l'hispanophone Guinée équatoriale ou les anglophone Ghana et Gambie) ont tout intérêt à apprendre le français pour s'intégrer économiquement à la sous-région qui les entoure.

Toutefois, plusieurs conditions sont requises pour que ce scénario fonctionne.

Tout d'abord, il faut que le développement économique, éducatif et social suive, ce qui n'est pas forcément gagné. Il n'y a qu'à voir la chute de la Côté d'Ivoire dans les années 80 par exemple.

Ensuite, il faut que ces pays gardent un intérêt à rester francophones, d'autant que l'absence de descendants de Français fait que le lien à la langue n'est pas automatique.

On a ainsi vu que suite aux polémiques sur le génocide, le Rwanda a pris l'anglais comme langue officielle, et qu'en 2012, le Gabon a ajouté l'anglais au français comme langue officielle, sans doute pour des raisons économiques (le pays produit beaucoup de pétrole).

L'exemple philippin, colonie espagnole pendant plusieurs siècles mais complètement passé à l'anglais après la conquête américaine, est un précédent qui fait réfléchir.

Pour maintenir sa langue, la France doit donc s'assurer de son attractivité pour les élites africaines, qui n'auront fort logiquement aucun état d'âme à se détourner de Paris si elles n'ont plus rien à en attendre.

En attendant, l'Afrique noire francophone produit de plus en plus d'auteurs, de blogueurs, de musiciens, de journalistes, et leurs diasporas deviennent un support pour le rayonnement de notre langue.

Je donnerai pour exemple le Chocolate city de Canton, ce quartier de la métropole chinoise où vivent 200.000 Africains de tout le continent et où l'on parle beaucoup français (ICI et ICI quelques articles sur ces enclaves) dans une zone où cette langue est quasiment absente.

Un autre fait intéressant que m'ont rapporté des Français ayant tenté leur chance dans le monde anglo-saxon (USA ou Australie en l’occurrence) c'est de voir que les réseaux francophones y sont très cosmopolites, et que les Européens n'y dominent pas forcément, preuve que d'autres se sont appropriés cette langue comme un outil efficace et assumé.

IV. Le français, une place à part

En guise de conclusion, je dirai que si le français n'est plus une langue hégémonique et puissante comme elle a pu l'être ou comme l'est l'anglais aujourd'hui, elle a sa partition à jouer dans le monde d'aujourd'hui.

Clairement en recul dans le monde développé, il se peut qu'elle connaisse une nouvelle jeunesse et une phase d'expansion dans les pays en voie de développement, cette transmission se faisant de manière originale puisque sans peuplement européen.

Rien n'est dit, mais en tout cas celui qui veut découvrir le monde en français n'a qu'à se brancher sur le web ou lire la presse internationale: les titres foisonnent.

Le journal marocain Tel Quel, l'algérien El Watan (premier journal francophone d'Afrique), le libanais l'Orient le jour, le sénégalais L'observateur (deuxième journal francophone africain, créé par Youssou N'Dour) donnent quelques exemples de cette vitalité bien réelle.