dimanche 6 mars 2016

Cinéma (10): Rambo, le vétéran et la mauvaise conscience nationale

On associe généralement le nom de Rambo à des images de brute débile au QI de moule et à la force surhumaine.

C'est vrai que dans les opus 2 et 3 de la série on voit un Stallone bodybuildé détruire des hélicos ou exploser des chars soviétiques à l'arc, mais le premier volet de la série est bien autre chose que de l'action pure et basique.

C'est au contraire un excellent film, dont le message est loin d'être militariste, au contraire même.

Sylvester Stallone y joue un vétéran des forces spéciales américaines au Vietnam, devenu un marginal à son retour.

Le film commence par une tentative de retrouver un ex-collègue qui tourne court: sa veuve lui apprend sèchement sa mort d'un cancer du à l'agent orange.

Reparti à pied, il est interpellé par un shérif moqueur qui lui intime l'ordre de ne pas s'arrêter dans sa ville, lui reprochant sa dégaine (cheveux longs, vêtements militaires) et son hygiène.

Comme Rambo s'entête, le policier l'emmène au commissariat où ses collègues, en majorité des rednecks brutaux et bornés, décident devant son insistance à ne pas collaborer de lui "donner une leçon", l'humiliant, le lavant au jet à haute pression et le cognant.

Jusqu'au moment l'ancien soldat craque et se met à répondre.

De manière violente et époustouflante, il neutralise tous les hommes présents et s'enfuit dans la montagne, où le shérif, hargneux et piqué au vif, décide de le poursuivre.

C'est un fiasco. Un de ses hommes, le plus violent et le plus haïssable, meurt par accident et tous les autres sont neutralisés un par un, mais sans être tués.

Le shérif tombe le dernier et le fugitif, le tenant à sa merci, lui intime l'ordre de lui foutre la paix avant de le laisser repartir.

Mais celui-ci s'entête, il convoque la presse, mobilise la garde nationale et fait monter l'affaire en mayonnaise.

C'est à ce moment qu'un officier des bérets verts apparaît et explique qu'il est l'ancien officier de Rambo, que celui-ci est un soldat d'élite au palmarès exceptionnel et un spécialiste de la guérilla en forêt.

La suite de l'affrontement est intéressante mais le moment le plus fort est paradoxalement celui où Rambo baisse sa garde, à la fin.

Il explique alors au colonel venu tenter de le raisonner que le Vietnam n'était pas sa guerre, qu'on était venu le chercher alors qu'il n'avait rien demandé, qu'il l'a faite comme on le lui avait dit, de son mieux et sans rechigner.

Il raconte son désarroi lors de son retour au pays, quand on était venu l'insulter, le traiter de monstre, de boucher, le rejeter violemment alors qu'on l'avait précédemment décoré.

On comprend que dans sa tête il n'est jamais rentré, que ses amis militaires étaient devenus sa seule famille et que leurs morts l'ont laissé vide et démuni, qu'après tant d'adrénaline et de responsabilités il est devenu incapable de se réinsérer.

Il finit en avouant qu'il est seul comme un chien, ne parlant à personne pendant des jours et des jours d'affilée, et que des souvenirs atroces l'obsèdent sans fin.

Voir cette machine de guerre, dont on a pu mesurer l'efficacité tout au long du film, se mettre à pleurer de désespoir est un moment bouleversant.

Rambo parle du paradoxe qu'il y a à transformer des gens en monstres pour une cause politique, les poussant en quelque sorte à se perdre pour une idée, tout en le leur reprochant après, un peu comme les pro peine de mort qui en même temps méprisent les bourreaux.

Tuer et combattre est en effet glorifié en période de conflit, mais unanimement condamné lorsque revient la paix.

Et pour peu qu'une guerre soit perdue ou reniée suite à un changement de politique, ses vétérans en deviennent la mauvaise conscience incarnée.

Les soldats américains de la Seconde Guerre Mondiale ont pu faire toutes les horreurs imaginables sur le terrain, ils sont revenus au pays auréolés de la gloire d'avoir sauvé le monde libre.

Au contraire, les GIs qui combattirent au Vietnam durent abandonner le terrain face à la petite nation tenace qui avait également eu la peau des Français.

Du coup leur intervention, très largement contesté à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, est vite devenue quelque chose à oublier pour l'opinion publique.

Ses vétérans, transformés en symboles vivants d'une erreur honteuse, se sont trouvés en butte à l'hostilité générale, et cette situation augmenta encore la marginalisation que tous les soldats ressentent après un conflit.

Le camp opposé connut un peu la même chose avec la guerre d'Afghanistan.

Lancée par Brejnev, elle aussi se solda elle aussi par un long enlisement des armées soviétiques, dans un pays hostile qu'ils finirent par devoir quitter la queue entre les jambes.

Et comme les vétérans du Vietnam, ceux d'Afghanistan furent rejetés par leur société, alors que comme pour les Américains, leurs prédécesseurs de la Seconde Guerre Mondiale étaient portés aux nues.

Dans son livre Les cercueils de zinc, l'écrivain biélorusse Svetlana Alexievitch a collecté les témoignages de ces vétérans ou de leurs familles (mères, épouses...) et en a fait un livre choc.

Indépendamment du portrait du pays qui se dessinait là, avec sa militarisation excessive et son extraordinaire mépris de l'individu, on y voit le même impossible retour à la vie civile de gens dont le combat est désavoué par leur société, qui en deviennent gênants, comme un mauvais souvenir.

Il y a eu beaucoup de Rambo soviétiques.

En France, ce sont les troupes intervenues pendant la guerre d'Algérie qui ont connu ce destin, même si le contexte était un peu différent.

Bertrand Tavernier en a interviewé un certain nombre dans l'éprouvant film La guerre sans nom et les souvenirs qu'ils rapportent sont du même bois que ceux des vétérans du Vietnam et d'Afghanistan.

Pour conclure, Rambo reprend un peu la thématique que j'avais exposée dans mon post sur la tête ou la main, à savoir qu'il est facile de prendre comme bouc émissaire les instruments d'une politique plutôt que ceux qui l'ont appliquée.

Et au final c'est la pitié plus que l'admiration ou la répulsion que ce spécialiste de la mort inspire.

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