mercredi 13 janvier 2016

Musique (10): Starshooter

En France le rock a toujours eu un complexe d'infériorité.

L'avis ironique de John Lennon qui aurait dit "Le rock français c'est comme le vin anglais" semble en effet partagé par un grand nombre de musiciens français.

Néanmoins, avant l'ère du rap, c'est cette musique qui fut la BO de la jeunesse française, génération après génération.

Cela commença dans les années 60 par des copies en VF des modèles anglo-saxons, les fameux yéyés. Puis on eut des mélanges variété-rock dans la pénible décennie 70 avant d'arriver à la période punk.

Ce moment fut crucial pour la scène française, qui sembla d'un seul coup se décomplexer, recyclant la rage et la philosophie Do It Yourself (ou "dites-le en trois accords") venues d'Outre-Manche en les mixant avec notre propre tradition de chanson engagée.

Apparurent alors des dizaines de groupes, plus ou moins bons et plus ou moins éphémères, qui tentèrent de trouver leur place sur un marché quasiment inexistant et complètement snobé par les pouvoirs publics.

Parmi eux il y eut bien sûr Téléphone, qui devint un véritable phénomène national.

Il y eut également Trust, un groupe qui tirait plus vers le hard rock et se réclamait d'AC-DC (il eut son heure de gloire avec l'anathème Antisocial).

Et enfin il y eut Starshooter.

Ce quatuor lyonnais, dont les membres avaient pris des pseudonymes colorés (Kent Hutchinson/Cockenstock à la guitare et au chant, Jello à la guitare, Mickey Snack à la basse et Phil Pressing à la batterie) eut une carrière courte mais marquante.

Entre 1977 et 1981, ils sortirent pas moins de quatre albums ainsi que de nombreux singles, à commencer par le fameux Betsy Party, dont le très grand succès porta un temps le groupe au même niveau de popularité que Téléphone.

Le parcours de ces deux formations divergea toutefois très vite, Starshooter quittant progressivement le top au fur et à mesure que leur musique évoluait et que le malentendu qui en les avait étiquetés comme punks se dissipait. Ils finirent par se séparer en 1981, après une dernière tournée.

J'ai entendu parler d'eux longtemps avant de pouvoir les écouter.

Je pense que la première fois c'était dans la chanson L'auto stoppeuse de Renaud ("Alors pour détendre l'atmosphère qu'était très punk / J'mets une cassette de Starshooter sur mon Blaupunkt").

Ensuite je les vis fugitivement dans le numéro que Culture rock, cette géniale émission de M6 que j'essayais de ne jamais rater, consacra au rock français.

Enfin, chaque livre sur l'histoire du rock hexagonal que j'ai ouvert faisait un petit détour par eux.

Malgré cette notoriété, j'ai mis énormément de temps avant de réussir à les écouter.

En effet, comme tant d'autres groupes de cette époque (Métal Urbain, Bijou, Marie et les garçons...), ils n'avaient pas accès aux grands media contrôlés par l’État (la libéralisation de la bande FM n'eut lieu qu'après l'élection de François Mitterrand), et ils durent composer à la fois avec l'absence d'une vraie scène rock française organisée (pas de salles, pas de festivals, etc.) et avec le désintérêt de la plupart des majors.

Du coup, tous ces artistes eurent bien souvent des carrières très courtes, et les rares traces discographiques de leur passage se sont longtemps résumées à quelques vinyles sommeillant dans les recoins et jamais réédités.

Comme le disait leur chanteur Kent, qui a depuis réussi une carrière honorable en solo, pendant de longues années tout se passa comme s'ils n'avaient jamais existé.

Heureusement une compil finit par sortir, et je pus enfin l'emprunter à la médiathèque et les écouter.

Énervés est le mot qui me vient spontanément à l'esprit quand je pense à la musique rythmée et rageuse de Starshooter.

En effet, l'impression qui se dégage de leur écoute est celle de gens qui ont des comptes à régler et une rage débordante, voire un petit côté hystérique, impression renforcée par la voix haut perché et presque enfantine de Kent.

Au niveau musical, cela va d'un rock minimaliste très speed avec force guitares jusqu'à des titres plus élaborés, où la basse est mise en avant et où diverses influences viennent se greffer: un peu de reggae, un peu de Disco/New Wave, des percussions ethniques, etc.

Côté textes, les thèmes abordés sont variés.

Beaucoup de critiques de la société: racisme, consommation, service militaire (encore un sujet à l'époque), télévision, travail aliénant...

Beaucoup aussi sur la vie adolescente, avec ses fêtes, son ennui, sa musique, ses révoltes, ses besoins d'argent.

D'autres morceaux sont plus comiques, certains racontent des anecdotes plus ou moins sordides (fugue qui se termine mal, chantages à la photo sexy, prise d'otage...).

Il y a aussi quelques reprises surprenantes, de Gainsbourg, des Beatles ou d'Aznavour.

Enfin dans beaucoup de morceaux il y a un côté petit-coq-planté-sur-ses-ergots très net, avec des compositions un peu branleuses, voire carrément macho ou homophobes (35 tonnes, Pin up blonde, A toute bombe, le summum étant le titre anti féministe Macho).

Le décalage entre cette prose, la voix aigrelette et le physique fluet, voire gringalet, de Kent rend ces titres assez marrants.

En tout cas, je comprends pourquoi Starshooter a marqué, et il reste de leur courte aventure des titre sympathiques, à l'énergie communicative, et le souvenir d'une époque où le rock fut (ou du moins sembla être), de ce côté-ci de la Manche aussi.

Écouter:
- Un reportage télé sur Starshooter
- Betsy party, le single par lequel tout a commencé
- Louis Louis, un hommage loufoque à l'aviateur Louis Blériot
- Le poinçonneur des lilas, reprise survitaminée du célèbre titre de Gainsbourg
- Touche-la, titre surréalistiquement beauf et explosif
- 35 Tonnes ou les routiers c'est l'aventure


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