vendredi 4 décembre 2015

Etat de la France (5): Immigration, intégration, discriminations et modèles nationaux

Après les attentats parisiens du 13 novembre reviennent les tristes constats et les questions habituelles.

Pourquoi la France?

Pourquoi une telle fracture entre une grande masse de nos immigrés et le reste de la population?

Pourquoi une telle coïncidence entre origine et position dans la hiérarchie socio-économique?

Pourquoi n'est-ce apparemment pas le cas au Royaume-Uni ou au Canada, dont on vante la diversité à tous les échelons de la société?

Qu'est-ce qui ne va pas chez nous?

Si l'on enlève la part de fantasme qu'il peut y avoir à hiérarchiser (ce n'est évidemment pas si rose chez les Anglo-Saxons), ces questions sont sensées et donnent quand même à réfléchir.

Je pense, quant à moi, qu'il ne faut pas chercher seulement là où l'on va d'habitude, c'est-à-dire sur le terrain de l'accueil, des mentalités ou du racisme.

A mon avis, une des causes de cette non intégration tient au fonctionnement même du pays, de son économie et de sa société.

En France on taxe lourdement les hauts salaires, les entrepreneurs, les successions, les propriétaires, etc.

Cette taxation finance une politique redistributive forte, qui, même si elle est imparfaite et inégale, bénéficie aux classes les plus pauvres de notre pays: notre coefficient de Gini reste parmi les meilleurs des pays occidentaux.

En revanche, cette politique s'accompagne de lourdeurs administratives, d'une forte instabilité législative, d'un droit du travail pro-salarié très complexe et protégeant surtout les CDI, et d'une rigidité légale pour tout ce qui touche les mouvements de personne, qu'il s'agisse de logement ou d'emploi.

Cause ou conséquence, dans notre pays les mentalités sont souvent un peu bloquées et peu portées au risque.

A contrario, les pays cités comme exemple, Canada et Royaume-Uni, sont bien plus orientés marché, les minima sociaux y sont plus bas, la culture du risque plus forte, la mobilité, souhaitée ou non, et l'innovation y sont une réalité. Il y est bien plus facile de perdre et de retrouver un job ou un logement.

Bien sûr, je force un peu le trait, le monde anglo-saxon n'est pas exempt d'aristocraties et la mobilité n'y est ni magique ni instantanée. Mais elle est bien réelle et supérieure à la nôtre.

Un ami ayant vécu à New York me racontait sa stupéfaction quand suite à sa visite d'un appartement on lui en donna tout de suite les clés, sans dossier ni caution.

A côté de ça, je viens de me porter garant pour le logement d'un proche qui travaille depuis vingt ans, a des économies mais est en période d'essai: sans cela, il n'aurait pas eu l'appartement. On est clairement sur une autre planète...

Bien sur, le New Yorkais serait facilement expulsé en cas de non paiement, tandis que le Français aura des recours et que son propriétaire devra lancer une longue et lourde procédure pour arriver à ses fins.

Et c'est la même chose pour le travail.

Les protections légales, les minima sociaux et les contrats à durée indéterminée font qu'un salarié en poste sera plus difficile à licencier que dans le monde anglo-saxon, et donc qu'on y regardera à deux fois avant d'embaucher, préférant du coup faire jouer son réseau ou recruter seulement des profils bétonnés.

Tout cela fait qu'en France on est plus protégé si l'on est en poste, mais qu'il est beaucoup plus dur d'entrer sur le marché du travail et du logement sans appui (quand ce n'est pas sans magouille).

Et cela s'applique bien sur aux immigrés, qui dans leur grande majorité n'ont pas de réseau, de patrimoine ou d'entregent.

Et donc un migrant diplômé, déjà riche et/ou brillant pourra plus facilement faire carrière dans le monde anglo-saxon qu'en France. Il ne rencontrera pas les mêmes freins au démarrage, ni les mêmes taxes à l'arrivée.

La contrepartie étant que s'il n'a rien à "vendre", il sera moins protégé et aidé.

En schématisant, on peut dire que notre système est plus protecteur pour le bas de la pyramide, et donc plus avantageux pour des gens sans perspective professionnelle, peu diplômés ou vendeurs, et qu'il est aussi plus difficile d'y entrer.

Alors qu'à l'opposé le Canada et le Royaume-Uni sont plus intéressants pour les entrepreneurs, les businessmen, les gens mobiles, les premiers de la classe, car il est plus facile de s'y insérer, d'y progresser et de s'y enrichir.

Les immigrés à haut potentiel vont donc logiquement plutôt choisir ces pays-là.

Cette hypothèse est d'ailleurs validée par les organismes internationaux quand ils comparent les types d'immigration et les niveaux de qualification des immigrés des pays de l'OCDE.

En France, la majorité des entrants sont des gens venus pour se marier, et leur niveau de diplôme est inférieur à la moyenne nationale, tandis qu'au RU ils viennent avant tout travailler et sont plus diplômés que la moyenne du pays.

Le cas de l'Allemagne est intéressant parce qu'ils ont longtemps eu le même système et la même immigration que nous, mais que les réformes Schröder font qu'ils se rapprochent de plus en plus du modèle anglo-saxon. Et que les inégalités y sont en hausse.

En conclusion, si l'on regarde de loin on peut avoir l'impression que notre pays est plus raciste, les immigrés trustant le bas de la pyramide sociale bien plus que chez nos concurrents.

Mais ce constat est en fait une distorsion: notre marché du travail moins mobile bloque plus facilement ceux qui n'ont ni réseau ni diplôme. Or il se trouve que nos immigrés sont majoritairement dans ce cas, à la fois parce que sans relation et moins qualifiés. Ils sont donc plus exclus, mais pas forcément sur l'origine.

Ce phénomène va d'ailleurs en s'accentuant puisqu'une grande partie de nos entrepreneurs, de toutes origines, s'expatrie pour raison fiscale ou professionnelle.

Nicolas Sarkozy, en parlant (et seulement en parlant) d'augmenter l'immigration choisie montrait qu'il avait lui aussi fait cette analyse.

Est-ce à dire qu'on doive se précipiter sur les modèles germanico-anglo-saxon?

Sacrifier notre modèle social (ou ce qu'il en reste) pour suivre les traces de Thatcher, Schröder ou Chrétien aiderait sans doute à la mobilité et à la résorption du chômage, mais elle augmenterait drastiquement les inégalités socio-économiques et tout ce qui va avec, à commencer par la vraie précarité.

On l'a vu lors de la crise de 2008, lorsque nombre de journaux d'outre Atlantique d'habitude si prompts à le démolir, soulignaient que le modèle français avait bien mieux préservé la partie la plus fragile de notre population que chez eux.

Donc d'un point de vue cohésion sociale, sans même parler de morale, adopter le modèle anglo-américain n'est pas forcément mieux.

Sur le long terme, j'ai cependant le sentiment qu'on n'y échappera pas.

En effet, malgré les réticences actuelles des opinions publiques, il y a de grandes chances qu'à moyen terme l'immigration finisse par être cruciale pour les pays développés.

D'ici la fin du siècle, à peu près tous devraient connaitre un crash démographique, ce qui engendrera un fort besoin de main d'oeuvre et de cotisants si l'on veut éviter l'écroulement de nos systèmes sociaux.

A ce moment-là, il se peut que le jeu de l'offre et de la demande se fasse en faveur des migrants, et si nous ne récupérons que "le fond du panier", il y aura bien un problème pour la France.

La question de l'afflux massif des Syriens, dont on voit qu'ils choisissent l'Allemagne et la Suède et nous boudent préfigure peut-être ce phénomène.

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