jeudi 17 décembre 2015

Héritages de l'hexagone (6): culture afro-américaine

Historiquement il existe un lien particulier entre les Afro-Américains et la France.

Cette communauté née dans la douleur et à l'histoire tragique a en effet souvent regardé du côté de l'Hexagone.

Était-ce pour trouver un contre-modèle au monde anglo-saxon et à sa domination, un peu comme l'Amérique latine le fit un temps après s'être libérée de l'Espagne et avant de sombrer complètement dans le giron yankee?

Était-ce pour suivre le vieil adage qui dit que l'ennemi de mon ennemi est mon ami, la culture WASP ayant hérité de la francophobie britannique?

Toujours est-il que nombreux furent les noirs des US qui nouèrent une idylle particulière avec la France, même si celle-ci reposait parfois sur un malentendu.

En effet, l'histoire coloniale et esclavagiste française vaut bien celle de Londres ou de Washington: il n'y a qu'à regarder l'épouvantable régime de Saint-Domingue ou le code noir pour s'en convaincre.

Et si lors de la Révolution française nous avons aboli l'esclavage avant le Royaume-Uni, (1802 contre 1833), cette abolition fut partielle et resta longtemps lettre morte, finissant par être vraiment appliquée seulement en 1848.

Enfin, aux États-Unis mêmes, la Louisiane, dont la population dominante fut longtemps d'origine et de culture française, ne brillait guère par son progressisme racial. Cet état lutta d'ailleurs aux côtés des confédérés pendant la guerre de Sécession.

En fait, l'image d'une France plus égalitaire et fraternelle avec les Noirs se construisit lorsque les premiers Afro-Américains débarquèrent à Paris, lors de la première guerre mondiale.

Ils furent unanimement et très favorablement impressionnés par l'accueil qui leur fut fait, et déclarèrent y être incomparablement mieux traités que dans leur pays d'origine.

Moins contrôlés, moins humiliés, plus anonymes, ils s'y sentirent globalement mieux, loin de la stricte ségrégation qui avait cours dans leur pays.

L'armée US était d'ailleurs préoccupée par ce fait et fournit une note secrète à son homologue française, dans laquelle elle décrivait comment elle entendait que ses citoyens noirs soient traités.

Retranscrite dans la circulaire Linard (1), du nom de son auteur, elle préconisait des choses aussi sympathiques que ne jamais serrer la main d'un officier noir ou partager sa table, et sa présentation à l'Assemblée nationale suscita une indignation unanime.

Les soldats noirs furent par ailleurs honorés et leur bravoure reconnue, certains recevant même la croix de guerre française, comme Harold Keith Johnson.

Bien entendu, il ne faut pas s'imaginer l'égalité, la France avait à l'époque un empire colonial où les Noirs étaient des sujets inférieurs, mais l'image qu'en gardèrent les Afro-Américains était éminemment positive en comparaison avec ce qu'ils vivaient au quotidien.

Par la suite, on assista même à l'installation de plusieurs d'entre eux en France, à Paris essentiellement, où certains firent de brillantes carrières, souvent impensables dans leur pays.

Cette tendance se perpétua dans le temps. On se souvient de Joséphine Baker, tellement francophile qu'elle entra dans la Résistance pendant l'Occupation, mais il y eut aussi Chester Himes, dont la carrière commença de ce côté-ci de l'Atlantique, Nina Simone, Sydney Bechet, Screaming Jay Hawkins, James Baldwin et tant d'autres.

Et en retour la France fut inspiratrice de certains éléments de la culture des noirs d'Amérique.

Le premier exemple que je donnerai concerne les Black Panthers.

Cet emblématique groupe armé qui prônait la prise en main des noirs par eux-mêmes et par tous les moyens fit beaucoup de bruit dans les années 60, et le béret qu'ils choisirent pour leur uniforme le fut en référence à la Résistance française.

Et puis plus récemment, il y a...le cognac.

Cet alcool bien de chez nous et dont l'exploitation est enracinée dans les Charentes est en effet le spiritueux chouchou de la communauté afro-américaine, et plus particulièrement celui des rappeurs.

Ceux-ci s'y attachèrent à partir des années 90, et cette boisson a fini par symboliser une forme de cool et une façon de se démarquer de la consommation du blanc moyen (l'ironie étant que les Français ne boivent plus guère de cognac !).



(1) Le texte de la circulaire Linard (je ne suis pas sûr de la source)

"Mission militaire française près l’Armée Américaine

7 août 1918

Au sujet des troupes noires américaines

I. Il importe que les officiers français appelés à exercer un commandement sur des troupes noires américaines, ou à vivre à leur contact, aient une notion exacte de la situation des nègres aux États-Unis. Les considérations exposées dans la note suivante devraient donc leur être communiquées, et il y a un intérêt considérable à ce qu’elles soient connues et largement diffusées ; il appartiendra même aux autorités militaires françaises de renseigner à ce sujet par l’intermédiaire des autorités civiles, les populations françaises des cantonnements de troupes américaines de couleur.

II. Le point de vue américain sur la « question nègre » peut paraître discutable à bien des esprits français. Mais il ne nous appartient pas à nous Français de discuter ce que certains appellent un « préjugé ». L’opinion américaine est unanime sur la « question noire » et n’admettrait pas la discussion.

Le nombre élevé de nègres aux États-Unis (15 millions environ) créerait pour la race blanche de la République un danger de dégénérescence si une séparation inexorable n’était faite entre noirs et blancs.

Comme ce danger n’existe pas pour la race française, le public français s’est habitué à traiter familièrement le « noir », et à être très indulgent à son égard.

Cette indulgence et cette familiarité blessent profondément les Américains. Ils les considèrent comme une atteinte à leurs dogmes nationaux. Ils craignent que le contact des Français n’inspire aux noirs américains des prétentions qu’ils considèrent comme intolérables. Il est indispensable que tous les efforts soient faits pour éviter d’indisposer profondément l’opinion américaine.

Bien que citoyen des États-Unis, l’homme de couleur est considéré par l’Américain blanc comme un être inférieur avec lequel on ne peut avoir que des relations d’affaires ou de service. On lui reproche une certaine inintelligence, son indiscrétion, son manque de conscience civique ou professionnelle, sa familiarité.

Les vices du nègre sont un danger constant pour l’Américain, qui doit les réprimer sévèrement. Par exemple, les troupes noires américaines en France ont donné lieu à elles seules à autant de plaintes pour tentatives de viol, que tout le reste de l’armée, et cependant on ne nous a envoyé comme soldats qu’une élite au point de vue physique et moral, car le déchet à l’incorporation a été énorme.

Conclusion

I. Il faut éviter toute intimité trop grande d’officiers français avec des officiers noirs, avec lesquels on peut être correct et aimable, mais qu’on ne peut traiter sur le même pied que des officiers blancs américains, sans blesser profondément ces derniers. Il ne faut pas partager leur table et éviter le serrement de main et les conversations ou fréquentations en dehors du service.

II. Il ne faut pas vanter d’une manière exagérée les troupes noires américaines surtout devant les Américains. Reconnaître leurs qualités et leurs services, mais en termes modérés conformes à la stricte réalité.

III. Tâcher d’obtenir des populations des cantonnements qu’elles ne gâtent pas les nègres. Les Américains sont indignés de toute intimité publique de femme blanche avec des noirs. Ils ont élevé récemment de véhémentes protestations contre la gravure de la « Vie Parisienne » intitulée « L’enfant du dessert » représentant une femme en cabinet particulier avec un nègre. Les familiarités des blanches avec les noirs sont du reste profondément regrettées de nos coloniaux expérimentés, qui y voient une perte considérable du prestige de la race blanche. L’autorité militaire ne peut intervenir directement dans cette question, mais elle peut influer sur les populations par les autorités civiles."

Début : Héritages de l'hexagone (1): introduction
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samedi 12 décembre 2015

Cinéma (9): Léon Morin, prêtre et la fin de la France catholique

Léon Morin, prêtre est le contre-exemple que l'on donne toujours à ceux qui estiment que Jean-Paul Belmondo n'est qu'un piètre acteur, cabotineur et cantonné aux films d'action.

Aimant beaucoup Melville et le sujet m'attirant par ailleurs, j'ai fini par regarder ce film.

L'histoire se déroule pendant l'Occupation allemande. L'héroïne est la veuve d'un juif communiste qui cache leur fille des Allemands, et qui par révolte va un jour provoquer un prêtre au confessionnal, en lui jetant son athéisme au visage.

Mais celui-ci ne réagit pas comme elle l'attendait et la suit sur son terrain, répondant avec à propos et aplomb à ses provocations et finissant par lui demander de continuer à venir le voir.

Un peu désorientée par cette réaction, elle va néanmoins relever le gant et aller chez lui un soir.

S'ensuivront de longues soirées de débat philosophique et théologique entre notre héroïne et Léon Morin, le curé, avec échanges de livres, coups de pouce et argumentations.

Peu à peu et s'en rendre compte, elle va succomber au charme involontaire et à la force de conviction de son interlocuteur, joué très finement par Jean-Paul Belmondo.

Elle finira par comprendre qu'elle en est tombée amoureuse et tenter de lui faire partager cette passion impossible.

Ce très beau film, austère et prenant, se termine par les adieux de Léon Morin, qui quitte la paroisse pour officier dans une montagne isolée.

En disant au revoir à son interlocutrice, il souligne que la France est désormais devenue une terre de mission pour l'église catholique.

Ce film a plus de cinquante ans, et l'on y parle déjà de déchristianisation.

A l'heure où islam et hindouisme semblent connaitre le mouvement inverse, j'ai voulu réfléchir à cette fin de la France chrétienne.

On n'en a plus vraiment conscience aujourd'hui, mais notre pays -et notre continent d'ailleurs- a été structuré, construit, développé autour du christianisme.

Avant les idées révolutionnaires et jusqu'à une date finalement récente, l'ensemble de la société civile s'organisait autour de l'église.

Hôpitaux, enseignement, suivi des naissances, mariages et décès, aide aux pauvres et nécessiteux, organisation professionnelle, découpage territorial, tout en France était le fait de l'église catholique.

Ne pas en être c'était la précarité, l'inexistence, l'hostilité, la mise au ban, voire l'élimination physique.

Les hérésies subirent ce rejet sous sa forme la plus brutale, certaines disparaissant dans le sang (les cathares), d'autres par l'exil et la dissimulation (huguenots).

Le judaïsme, seule autre religion tolérée, faisait l'objet de fréquentes flambées de haine.

Les comédiens, les suicidés subissaient l'opprobre de la communauté, l'excommunication était alors la pire des punitions.

Pour résumer, l'église catholique était au cœur de l'état, le pouvoir papal ayant pris le relais de l'empire romain comme force rassembleuse de l'Europe.

La sortie de cette époque fut le résultat d'une lutte longue et âpre entre cette puissance et les forces étatiques.

Ce combat commença lorsque les rois voulurent contrôler les structures et les hommes de l'église, ainsi que le pouvoir qui leur était associé.

Cette tentative prit des formes différentes selon le lieu et l'époque.

Le roi d'Angleterre créa sa propre église, placée sous son autorité jusqu'à aujourd'hui.

Le roi de France se déclara de droit divin et entreprit de désigner les évêques, fondant la doctrine dite du gallicanisme.

L'étape suivante fut l'édit de Nantes, par lequel Henri IV toléra officiellement l'existence du culte protestant en France (tolérance au premier sens du terme, plus semblable à la dhimma musulmane qu'à l'égalité des droits).

Mais la vraie rupture fut la Révolution et le début de la séparation de l’Église et de l'État, ce dernier devenant le seul interlocuteur légal de l'individu, quelle que soit sa religion.

L'état civil reprit alors les registres paroissiaux, et une version civile des sacrements principaux fut mise en place: mariages, enterrements et aussi baptêmes, dont la version civile semble connaitre un regain de popularité.

Parallèlement, les gouvernements prirent le contrôle des écoles et des programmes, inventant une morale civile, ainsi que celui de l'hôpital. Au début, l'uniforme des infirmières était d'ailleurs calqué sur celui des nonnes qui en avaient précédemment la charge.

Toutefois, si elle ne primait plus sur l'État, l'église catholique était quand même reconnue comme la religion de la majorité des Français, pour reprendre le mot de Napoléon.

A ce titre, elle faisait l'objet d'accords entre le Vatican et les gouvernements (les régimes concordataires) et restait très présente sur la place publique, où elle fut pleinement réintégrée quand elle reconnut la république et que la Papauté n'appela plus les catholiques à s'y opposer.

Elle fut aussi utilisée par l'État dans le cadre du projet colonial (échange de bons procédés puisque ces facilités lui procuraient un accès à de nouvelles masses à évangéliser).

La dernière étape qui acheva la séparation légale des deux pouvoirs fut la fameuse loi de 1905, qui est aujourd'hui devenue une icône en France .

Toutefois, malgré cet éloignement officiel de plus en plus marqué, la société française resta longtemps profondément catholique, et si la mairie devint incontournable, l'église demeurait elle aussi au cœur de la vie et n'en sortit que très lentement.

Dans tous les villages l'école privée, confessionnelle, était en rivalité avec l'école publique d'état, le curé faisait partie des notables, et les croyants prenaient l'avis des autorités religieuses pour de nombreux sujets (par exemple la liste des films regardables par les croyants qui était placardée dans les églises jusqu'aux années 60).

Mais aujourd'hui, on peut dire que la rupture est consommée.

En effet, si en France une grande partie des gens continue à se faire enterrer selon le rite romain et souhaite un mariage à l'église, bien peu suivent sérieusement les règles catholiques.

La crémation se développe, le Carême a quasiment disparu, la majorité des enfants naissent hors mariage, l'inculture biblique s'est généralisée et l'on estime qu'il y a dans l'ex-fille ainée de l'église moins de catholiques pratiquants que de musulmans pratiquants.

Les églises, désertées, sont de plus en plus nombreuses à être recyclées en tout autre chose ou en voie de démolition, au point d'alarmer des bénévoles (telle l'association 40.000 clochers).

La moyenne d'âge du personnel religieux est extrêmement élevée et les candidats à la prêtrise si rares qu'on doit de plus en plus faire appel à des curés étrangers.

Enfin, l'installation en France de communautés immigrées non chrétiennes à la religiosité plus vivante, islam en tête (encore que les musulmans français subissent eux aussi une crise des vocations à l'imamat dont on parle peu) a encore plus changé la donne et transformé ce pays longtemps homogène en une mosaïque où le christianisme n'est plus qu'une des variantes.

Qu'on se réjouisse de cette déchristianisation, comme nos élites culturelles, intellectuelles et politiques l'ont fait pendant les dernières décennies, qu'on le regrette ou s'en inquiète, la France n'est plus un pays catholique ni même chrétien.

La religion et la spiritualité n'ont pas disparu mais elles ont changé, sont moins formelles et plus individualistes, l'athéisme a progressé, les autres confessions aussi, et l'église catholique n'est définitivement plus l'ossature de notre société.

Toutefois, il me semble qu'on ne devrait pas faire comme si tout cela n'avait pas existé.

L'héritage de ces 1407 années (1) de prédominance catholique reste important. Cette empreinte a façonné notre pays de mille et une façons.

La géographie des communes organisées autour de la mairie recoupe l'ancien découpage en paroisses organisées autour de l'église.

Notre droit, avec un accusé qui doit se défendre face à un ministère public (au contraire d'autres traditions comme l'anglo-saxonne) est un héritage du catholicisme.

Notre vision centralisatrice et universelle a sans doute quelque chose à voir avec l'organisation de l'église catholique.

Notre calendrier reste celui de l'église catholique, à commencer par les fêtes religieuses.

Quant à notre langue, elle est truffée de références bibliques: qu'on me jette la première pierre, il a pris son chemin de Damas, je m'en lave les mains, adieu, etc, etc.

Il me parait malhonnête de le nier, et à ce titre les arguments quasi négationnistes de la France pour refuser d'approuver le préambule de la constitution européenne sur les racines chrétiennes me semblent un peu stupides (même si ce préambule n'est pas forcément nécessaire).

Savoir d'où l'on vient n'implique pas qu'on veuille y rester ni qu'on refuse ce qui vient d'ailleurs.

Et si la France ne se définit plus comme un pays catholique, il est clair que cette religion est l'un de ses héritages et de ses fondements les plus importants.




(1): si l'on prend la date -fantaisiste- de 498 qu'on donne comme celle du baptême catholique de Clovis pour début et la loi de séparation de 1905 pour fin.

jeudi 10 décembre 2015

Retour à la tribu

Récemment un de mes amis enseignants me rapportait les propos sur les migrants qu'il avait entendus dans les classes de collège dont il a la charge.

Ces élèves, essentiellement des Français de souche (il travaille avec les enfants favorisés d'une petite ville de province) étaient très globalement contre l'accueil des Syriens.

L'idée n'était pas de rentrer ici dans la polémique du faut-il accueillir ou pas, comment et combien (d'ailleurs ils ne veulent apparemment pas venir en France), mais simplement de noter le changement d'attitude qui s'est mis en place depuis notre jeunesse.

En effet je pense que notre génération (c'est lui aussi un quadragénaire) aurait plus spontanément dit qu'il fallait les accueillir, avec une exaltation naïve et idéaliste.

Je précise que nous étions nous aussi des BBR à 99% (milieu rural oblige) et que je me base sur mon vécu pour dire ça.

Dans le même ordre d'idées, mes collègues quinquagénaires s'étonnaient il y a peu du carton que faisait le Front National chez les jeunes, leur argument clé étant de dire que se frottant plus à la diversité que leurs aïeux, ils auraient forcément dû être moins racistes et pleins de préjugés qu'eux.

Cet ensemble de constats m'a inspiré ces quelques réflexions.

Qu'est-ce que cette réaction peut donc signifier? Est-on devenu plus égoïste, plus raciste qu'à l'époque? Pourquoi ce rejet?

Une des premières raisons qui m'est venue à l'esprit c'est l'aspect économique.

De tout temps et partout (c'est vrai de la Côte d'Ivoire aux États-Unis en passant par la Malaisie), l'immigré est un concurrent sur le marché du travail.

Généralement il coûte moins cher, parce qu'il part de plus bas et n'a pas la possibilité d'être exigeant. Utile quand l'économie va bien, on lui reproche de tirer le marché du travail vers le bas quand elle va mal.

Or la vague de délocalisations entamée en Occident depuis les années 90 + la déferlante de produits chinois importés a anéanti un certain nombre de positions et supprimé beaucoup d'emplois.

Le travail restant semble donc plus rare et précaire, et les indigènes entendent le préserver. D'où le rejet d'une concurrence importée.

Toutefois, pour ce genre de raisonnement il faut une certaine maturité que n'ont pas forcément des collégiens.

Alors que se passe-t-il?

Et bien, il faut peut-être renverser la perspective.

Expérimenter la diversité ne rend pas forcément plus tolérant et ouvert, et n'est peut-être pas toujours l'enrichissement tellement vanté.

Dans le collège de mon ami, de jeunes Maghrébins ont rendu très compliqué un voyage scolaire à Rome car ils exigeaient de manger 100% halal et refusaient d'entrer au Vatican une fois sur place.

Dans un collège de la même région, certains ont refusé de saluer au judo car on ne se prosterne que devant Dieu et d'autres ont boycotté le cours de dessin sur une rumeur de poils de porc dans le pinceau.

Même si ces communautés sont ultra minoritaires dans les collèges considérés et que cette attitude n'est pas celle de toute la minorité en question, ce genre d'action spectaculaire marque forcément les autres enfants.

Et c'est encore plus vrai dans les nombreux établissements où les proportions sont inversées.

On sait que l'enseignement de l'Histoire y est souvent un exercice risqué (à cause de la Shoah ou de l'héritage chrétien), tout comme parfois la littérature, la biologie (à cause des créationnistes) ou simplement la liberté d'expression.

J'illustrerai ce dernier point en citant le "Allah u Akbar" triomphant poussé pendant la minute de silence de Charlie dans une classe de la banlieue voisine de celle où j'habite.

A propos de Charlie, tout le pays est également au courant des attentats islamistes qui sont quasi mensuels depuis un an et de l'origine de la plupart des tueurs.

Tout le monde a aussi entendu parler des sifflets de Marseillaise lors des match de foot opposant la France aux pays du Maghreb et de l'interruption du match France-Algérie en 2001.

Les exemples sur l'islam et des Maghrébins sont les plus marquants tout simplement à cause du nombre (les problèmes de turban des sikhs de Bobigny sont forcément moins relayées, par exemple).

Mais il y a aussi les polémiques sur les roms avec les vagues de cambriolages et de délinquance spectaculaires auxquels ils sont associés (stades désossés de leurs câbles en cuivre, touristes attaqués en bande dans le Louvre, etc.).

Enfin, la sinisation de quartiers entiers, si elle ne génère pas forcément de délinquance, pose également question: les pratiques communautaires, réelles ou fantasmées, et la concurrence supposée déloyale dérangent aussi.

Bref, tout ça pour dire qu'entre la petite et la grande histoire, il est clair pour tout le monde que le grand brassage enrichissant promis ne se fait pas tout seul.

Il tourne même facilement à l'affrontement, surtout quand la situation économique fait que les places sont rares et chères.

Et du coup la majorité de souche découvre sa propre existence, prenant conscience de la présence d'autres pour qui ils ne sont pas forcément un modèle à atteindre, voire pour qui ils peuvent même être un repoussoir, un anti-modèle dont on souhaite se préserver.

La floraison de kippas, de hijabs et la pression croissante pour des services publics aménagés (halal, casher, non mixité, etc.) en est une illustration marquante.

Dans son livre l'Identité malheureuse, Alain Finkielkraut raconte bien ce qu'a été pour sa génération la découverte de cet état de fait: un effarement, une surprise, un désagréable inattendu.

Pour les gens comme lui, cela implique une remise en cause douloureuse, cela brouille les repères, désoriente.

Mais pour ces jeunes?

Et bien pour eux qui ne connaissent que ça depuis le berceau, cette fragmentation est la norme. Ils ne sont pas comme moi, devenus blancs, mais ont été assignés à cette identité depuis leur naissance.

Du coup, il n'y a plus pour eux cet espèce d'universalisme qui a longtemps porté l'Occident, mais leur société est une juxtaposition de communautés avec qui on doit vivre et s'arranger.

Et donc, fort logiquement, ils commencent à se penser comme l'une d'entre elles, non plus celle à laquelle tous doivent logiquement et spontanément souhaiter de s'agréger, mais celle qu'il faut protéger et qui doit garder la primauté qu'elle a l'impression qu'on lui conteste.

Bien sûr ce raisonnement ne touche pas tout le monde, bien sûr le modèle universel et le rêve de la France une et indivisible n'est pas mort, mais ce n'est tout de même plus la même chose.

Le gaullisme d'hier était un projet nationaliste sans le dire, puisqu'il n'y avait pas besoin de le dire.

A l'époque la France était encore dans son écrasante majorité de souche gauloise ou du moins blanche, majoritairement catholique mais laïque, attachée au drapeau et à un certain nombre d'invariants remontant loin dans le temps, synthétisant Ancien Régime et héritages des révolutions.

Tout cela allait donc de soi et on attendait de manière implicite la fusion des nouveaux arrivants, à qui on tenait souvent la dragée haute.

Les années 80 ont amené une rupture de ce modèle: le patriotisme, la laïcité, les symboles nationaux inclusifs, le protectionnisme et le centralisme jacobin ont été raillés et mis de côté, avant d'être récupérés par le Front National, qui les a mixés avec les vieux fonds de tous les perdants de la France moderne depuis la Révolution (certains royalistes et/ou maurrassiens, pétainistes, OAS, etc.).

La stratégie mitterrandienne n'est pas pour rien dans cet étrange détournement qui a fait que le patriotisme "classique" est devenu suspect et que ce parti douteux s'est finalement transformé en l'héritier dévoyé du général De Gaulle.

Mais ce FN dual est déjà débordé par une autre forme d'extrême droite: les Identitaires.

Ceux-ci vont plus loin et jettent le modèle jacobino-gaulliste aux orties. Ils voient les Français historiques comme un groupe ethnique enraciné, théorisent une politique de l'entre soi exclusif, déclarant s'inspirer pour cela des communautés immigrées dont ils constituent une sorte de miroir.

Si l'on est pessimiste, on peut penser qu'une espèce de "tribalisation" est doucement en train de se mettre en place, remplaçant ou complétant la discrimination spatiale basée sur l'origine sociale qui avait été jusque-là la règle, ce qui ne peut évidemment qu'avoir des conséquences très négatives.

La moindre d'entre elles me semble la fin de la solidarité nationale.

En effet, quand on préfère s'occuper "des siens", plus personne ne veut cotiser pour les autres. Cela se passe déjà dans d'autres pays.

En Belgique, le coût des transferts sociaux entre provinces est un des arguments des indépendantistes flamands. C'est la même chose en Italie avec la Ligue du nord ou en Espagne avec la Catalogne.

Rien n'empêche de penser que cela pourra être la même chose entre divers groupes en France.

Et cela peut même aller encore plus loin.

On pourrait retomber sur la stricte endogamie qui était la règle entre origines ethniques et religions jusqu'à la fin de l'époque coloniale.

La préférence raciale, ou religieuse, ou de caste, pourrait de nouveau devenir la norme, comme cela l'est encore dans tant de pays et de communautés sur le globe.

Et la régression pourrait aller jusqu'à se retrouver comme au temps de l'apartheid ou des régimes coloniaux, avec des isolats stricts et des affrontements brutaux entre ceux qui transgressent la règle et les gardiens de la communauté.

Et l'étape d'après c'est la guerre civile.

Ce portrait très noir ne correspond fort heureusement pas à la réalité d'aujourd'hui.

Les mariages et les quartiers ethniquement mixtes sont tout de même assez nombreux, et l'on voit bien que cahin-caha des non Européens apparaissent à tous les niveaux sociaux et ne sont plus cantonnés aux seuls sportifs et rappeurs.

Mais les forces centrifuges, qui se fortifient mutuellement (la boutade qui dit que Daesh revendique la victoire du FN aux régionales n'est pas si fausse) sont bien là, et dangereuses.

Le retour à une France tribalisée serait une catastrophe que nos dirigeants devraient tout faire pour éviter.

mercredi 9 décembre 2015

L'innocent

Il y a un petit handicapé mental dans la classe de CM1 où est actuellement mon aîné.

Un peu plus âgé que les autres élèves, il suit un programme spécial mais passe son temps scolaire au milieu d'autres enfants.

Je l'ai tout de suite repéré sur la photo de classe.

De même taille que ses collègues, il est mignon mais quand on le regarde de près, ses traits et ses mains indiquent la trisomie.

C'est son air un peu perdu et extrêmement sérieux qui m'a attiré l’œil, et aussi sa posture.

En effet, malgré son corps de dix ans, il se tient comme mon autre fils sur sa photo de maternelle, bien loin du style pré ado de ses collègues, et ses vêtements lui donnent l'aspect attendrissant d'un petit que ses parents auraient endimanché.

Cette ressemblance est renforcée par le fait que les deux portent des lunettes, et qu'en dépit de leur cinq ans de différence d'âge ils ont le même air naïf et concentré.

Ce petit homme m'a curieusement bouleversé. Il m'a paru fragile, gauche et faible, impression confirmée lorsqu'un jour je l'ai croisé dans la rue et qu'il a réagi avec une grande timidité au bonjour de mon fils.

Même s'il à la chance d'être né dans un milieu et à une époque où la société fait beaucoup pour que sa vie soit le plus agréable possible, il aura fatalement plus de limites que les autres. Et il sera sans doute dépendant jusqu'à sa mort de gens qui partiront avant lui sans qu'il comprenne.

J'ai pensé à ses parents, qui auront un petit qui ne grandira jamais complètement dans sa tête et pour lequel ils seront toujours un peu inquiets, à sa crise d'adolescence qui sera seulement physique et à ce titre plus dure à maîtriser.

J'ai aussi pensé à ce qu'il va ressentir et à toutes les fois où il sera dépassé et le vivra comme un échec, à ses difficultés prévisible pour étudier, trouver un travail ou avoir des relations amoureuses.

Pour moi il illustre une nouvelle fois le fait que non, la nature n'est pas bien faite, qu'elle peut au contraire être extrêmement cruelle, inégale et injuste.

Tous ces gens qui naissent avec une déficience plus ou moins grave, un handicap qui va les ostraciser et les faire souffrir... Trisomiques, intersexuées, guevedoces, voire les cas tragiques des myopathes ou des progériques, pourquoi? Quelle farce cruelle, quel dieu mesquin, quel destin provoque cela?

Je me souviens que dans mon village il y avait un "innocent" comme on disait avant, de l'âge de mon père. Ses parents s'étaient dévoués pour lui, avaient réussi à lui donner des rudiments scolaires et à le faire embaucher chez les cantonniers du coin.

On croisait sa silhouette au coin des chemins, quasi immobile et appuyé sur sa faux (il ne se foulait pas trop !). Ses collègues lui donnaient des petits travaux, des accotements à faucher, etc.

Il s'exprimait mal mais avec beaucoup de conviction et répondait toujours "tout droit" aux touristes égarés, ce qui nous faisait bien rire.

Cette figure de ma jeunesse, morte depuis et dont je ne sais quel était précisément le handicap, provoquait déjà chez l'enfant que j'étais de la compassion et de la tristesse, comme le provoquent en général l'injustice et la faiblesse.

Un autre souvenir marquant était une dame que ma grand-mère avait amenée de l'institut pour handicapés où elle travaillait et qui avait un peu joué avec moi.

J'étais très petit mais je me rappelle encore ma stupéfaction d'avoir découvert que j'étais plus intelligent qu'elle et que je pouvais la duper!

Dans les villages ce genre de personnes avaient souvent une place, symbolique, vivotant à droite à gauche, aidé par les uns et les autres ou par l'église, moqués par les gens mais quand même intégrés.

Ils pouvaient et peuvent aussi être les souffre-douleur, exploités de toutes les façons ou plus simplement laissés de côté.

Dans leurs délires eugénistes, les immondes nazis avaient même voulu les supprimer, tout simplement. Et l'on dit que Boko Haram aurait utilisé des enfants handicapés pour leurs attentats dans les marchés.

Il n'y a pas de mots pour décrire ce que ces pratiques abominables m'inspirent. Et je suis entièrement d'accord avec ceux qui disent que le degré de civilisation d'une société se mesure à la façon dont elle s'occupe de ses membres les plus faibles.

Personne ne choisit jamais ce qu'il est, avec quoi et sous quelle forme il vient au monde, et chaque personne mérite le respect et le bonheur. Puisse ce petit bonhomme avoir une vie heureuse et être aimé comme les autres enfants...


Je terminerai mon post par quelques liens:

Tout d'abord l'appel émouvant à la générosité des Français qu'avait lancé en 1965 le grand Lino Ventura, lui-même papa d'une petite fille handicapée. Il avait mis sa notoriété au service de l'association Perce-neige.

En ensuite deux chansons:

- La première, Ceux que l'on met au monde, est de Lynda Lemay et raconte, avec peut-être un peu trop de pathos mais de façon très touchante, l'expérience d'une mère d'un enfant handicapé mental.

- La deuxième, L'innocent, est de Fernandel, qui en plus d'être l'amuseur que l'on connait savait aussi être émouvant. Il y fait parler un idiot du village de ses tourments et difficultés.

vendredi 4 décembre 2015

Etat de la France (5): Immigration, intégration, discriminations et modèles nationaux

Après les attentats parisiens du 13 novembre reviennent les tristes constats et les questions habituelles.

Pourquoi la France?

Pourquoi une telle fracture entre une grande masse de nos immigrés et le reste de la population?

Pourquoi une telle coïncidence entre origine et position dans la hiérarchie socio-économique?

Pourquoi n'est-ce apparemment pas le cas au Royaume-Uni ou au Canada, dont on vante la diversité à tous les échelons de la société?

Qu'est-ce qui ne va pas chez nous?

Si l'on enlève la part de fantasme qu'il peut y avoir à hiérarchiser (ce n'est évidemment pas si rose chez les Anglo-Saxons), ces questions sont sensées et donnent quand même à réfléchir.

Je pense, quant à moi, qu'il ne faut pas chercher seulement là où l'on va d'habitude, c'est-à-dire sur le terrain de l'accueil, des mentalités ou du racisme.

A mon avis, une des causes de cette non intégration tient au fonctionnement même du pays, de son économie et de sa société.

En France on taxe lourdement les hauts salaires, les entrepreneurs, les successions, les propriétaires, etc.

Cette taxation finance une politique redistributive forte, qui, même si elle est imparfaite et inégale, bénéficie aux classes les plus pauvres de notre pays: notre coefficient de Gini reste parmi les meilleurs des pays occidentaux.

En revanche, cette politique s'accompagne de lourdeurs administratives, d'une forte instabilité législative, d'un droit du travail pro-salarié très complexe et protégeant surtout les CDI, et d'une rigidité légale pour tout ce qui touche les mouvements de personne, qu'il s'agisse de logement ou d'emploi.

Cause ou conséquence, dans notre pays les mentalités sont souvent un peu bloquées et peu portées au risque.

A contrario, les pays cités comme exemple, Canada et Royaume-Uni, sont bien plus orientés marché, les minima sociaux y sont plus bas, la culture du risque plus forte, la mobilité, souhaitée ou non, et l'innovation y sont une réalité. Il y est bien plus facile de perdre et de retrouver un job ou un logement.

Bien sûr, je force un peu le trait, le monde anglo-saxon n'est pas exempt d'aristocraties et la mobilité n'y est ni magique ni instantanée. Mais elle est bien réelle et supérieure à la nôtre.

Un ami ayant vécu à New York me racontait sa stupéfaction quand suite à sa visite d'un appartement on lui en donna tout de suite les clés, sans dossier ni caution.

A côté de ça, je viens de me porter garant pour le logement d'un proche qui travaille depuis vingt ans, a des économies mais est en période d'essai: sans cela, il n'aurait pas eu l'appartement. On est clairement sur une autre planète...

Bien sur, le New Yorkais serait facilement expulsé en cas de non paiement, tandis que le Français aura des recours et que son propriétaire devra lancer une longue et lourde procédure pour arriver à ses fins.

Et c'est la même chose pour le travail.

Les protections légales, les minima sociaux et les contrats à durée indéterminée font qu'un salarié en poste sera plus difficile à licencier que dans le monde anglo-saxon, et donc qu'on y regardera à deux fois avant d'embaucher, préférant du coup faire jouer son réseau ou recruter seulement des profils bétonnés.

Tout cela fait qu'en France on est plus protégé si l'on est en poste, mais qu'il est beaucoup plus dur d'entrer sur le marché du travail et du logement sans appui (quand ce n'est pas sans magouille).

Et cela s'applique bien sur aux immigrés, qui dans leur grande majorité n'ont pas de réseau, de patrimoine ou d'entregent.

Et donc un migrant diplômé, déjà riche et/ou brillant pourra plus facilement faire carrière dans le monde anglo-saxon qu'en France. Il ne rencontrera pas les mêmes freins au démarrage, ni les mêmes taxes à l'arrivée.

La contrepartie étant que s'il n'a rien à "vendre", il sera moins protégé et aidé.

En schématisant, on peut dire que notre système est plus protecteur pour le bas de la pyramide, et donc plus avantageux pour des gens sans perspective professionnelle, peu diplômés ou vendeurs, et qu'il est aussi plus difficile d'y entrer.

Alors qu'à l'opposé le Canada et le Royaume-Uni sont plus intéressants pour les entrepreneurs, les businessmen, les gens mobiles, les premiers de la classe, car il est plus facile de s'y insérer, d'y progresser et de s'y enrichir.

Les immigrés à haut potentiel vont donc logiquement plutôt choisir ces pays-là.

Cette hypothèse est d'ailleurs validée par les organismes internationaux quand ils comparent les types d'immigration et les niveaux de qualification des immigrés des pays de l'OCDE.

En France, la majorité des entrants sont des gens venus pour se marier, et leur niveau de diplôme est inférieur à la moyenne nationale, tandis qu'au RU ils viennent avant tout travailler et sont plus diplômés que la moyenne du pays.

Le cas de l'Allemagne est intéressant parce qu'ils ont longtemps eu le même système et la même immigration que nous, mais que les réformes Schröder font qu'ils se rapprochent de plus en plus du modèle anglo-saxon. Et que les inégalités y sont en hausse.

En conclusion, si l'on regarde de loin on peut avoir l'impression que notre pays est plus raciste, les immigrés trustant le bas de la pyramide sociale bien plus que chez nos concurrents.

Mais ce constat est en fait une distorsion: notre marché du travail moins mobile bloque plus facilement ceux qui n'ont ni réseau ni diplôme. Or il se trouve que nos immigrés sont majoritairement dans ce cas, à la fois parce que sans relation et moins qualifiés. Ils sont donc plus exclus, mais pas forcément sur l'origine.

Ce phénomène va d'ailleurs en s'accentuant puisqu'une grande partie de nos entrepreneurs, de toutes origines, s'expatrie pour raison fiscale ou professionnelle.

Nicolas Sarkozy, en parlant (et seulement en parlant) d'augmenter l'immigration choisie montrait qu'il avait lui aussi fait cette analyse.

Est-ce à dire qu'on doive se précipiter sur les modèles germanico-anglo-saxon?

Sacrifier notre modèle social (ou ce qu'il en reste) pour suivre les traces de Thatcher, Schröder ou Chrétien aiderait sans doute à la mobilité et à la résorption du chômage, mais elle augmenterait drastiquement les inégalités socio-économiques et tout ce qui va avec, à commencer par la vraie précarité.

On l'a vu lors de la crise de 2008, lorsque nombre de journaux d'outre Atlantique d'habitude si prompts à le démolir, soulignaient que le modèle français avait bien mieux préservé la partie la plus fragile de notre population que chez eux.

Donc d'un point de vue cohésion sociale, sans même parler de morale, adopter le modèle anglo-américain n'est pas forcément mieux.

Sur le long terme, j'ai cependant le sentiment qu'on n'y échappera pas.

En effet, malgré les réticences actuelles des opinions publiques, il y a de grandes chances qu'à moyen terme l'immigration finisse par être cruciale pour les pays développés.

D'ici la fin du siècle, à peu près tous devraient connaitre un crash démographique, ce qui engendrera un fort besoin de main d'oeuvre et de cotisants si l'on veut éviter l'écroulement de nos systèmes sociaux.

A ce moment-là, il se peut que le jeu de l'offre et de la demande se fasse en faveur des migrants, et si nous ne récupérons que "le fond du panier", il y aura bien un problème pour la France.

La question de l'afflux massif des Syriens, dont on voit qu'ils choisissent l'Allemagne et la Suède et nous boudent préfigure peut-être ce phénomène.

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