vendredi 18 septembre 2015

La nouvelle guerre de Trente ans (2) - les états post-coloniaux

Dans ce deuxième post sur les événements qui déchirent l'ex grande Syrie, je vais brosser un portrait rapide des différents états qui la composent (à l'exception d'Israël, que j'ai déjà décrit ICI), avec leur cheminement depuis la fin des tutelles coloniales jusqu'aux printemps arabes.

1. Le Liban

Le Liban est né à d'une volonté d'indépendance des chrétiens maronites, clients traditionnels de la France et alors communauté la plus développée d'Orient.

Toutefois, afin que leur état soit viable, ils choisirent d'y inclure la plaine qui sépare leur habitat montagnard traditionnel de la mer, englobant ainsi des populations d'autres confessions.

Et afin de les faire adhérer au projet, la constitution adoptée, de type confessionaliste, fut pensée pour garantir la reconnaissance de chacune d'entre elle par l’État.

Ainsi la loi impose que le président de la république libanaise, organisée dès le mandat français, soit un chrétien maronite, le premier ministre un musulman sunnite et le président de l'assemblée un musulman chiite.

De plus, une grande partie des pouvoirs est délégué aux communautés, comme les mariages.

Très riche du fait de ses multiples connexions Orient-Occident (on l'appelait la Suisse du Moyen Orient), bénéficiant d'un climat doux et de paysages magnifiques, très ouvert sur la mer, le Liban était le pays arabe le plus développé de la région, et il l'est encore malgré les multiples drames qui l'ont touché.

Le premier coup de canif donné dans le fragile équilibre imaginé par ses fondateurs fut une conséquence de la création d'Israël.

Suite a la guerre d'indépendance de l'état hébreu, un très grand nombre de Palestiniens se réfugia en effet au Liban, où ils représentèrent rapidement 20% de la population.

Très vite ils s'y organisèrent et constituèrent une véritable Palestine bis dans les camps où ils furent installés, base arrière des fedayins qui attaquaient sans relâche Israël.

L'état libanais fut vite dépassé et dut accepter un accord secret d'extra territorialité pour ces camps, mais refusa la naturalisation de ces réfugiés.

Peu à peu, les tensions entre les communautés, révélées par les nouveaux arrivants, s'exacerbèrent. On assista à une militarisation des groupes confessionnels, à des affrontements armés, puis à une longue guerre civile.

Et pendant une quinzaine d'année tous les camps en présence, Palestiniens, Chrétiens, Druzes, Sunnites et Chiites s'opposèrent à tour de rôle en de sanglants combats.

La guerre s'acheva en 1990 par la mise sous tutelle du pays, la majeure partie, au nord, passant sous contrôle syrien, le reste, au sud, sous contrôle israélien.

Cette guerre vit par ailleurs la montée en puissance d'un acteur majeur de la région: le Hezbollah, ou parti de Dieu.

Il naquit et s''implanta au sein de la minorité chiite (aujourd'hui 27% des Libanais), dont les membres étaient pauvres et ostracisés, comme chez tous les pouvoirs sunnites.

Grâce à l'argent et aux armes fournis par le mentor iranien au nom de la solidarité religieuse, puis à des activités mafieuses (trafic de drogue), le Hezbollah parvint à mettre en place une véritable société parallèle.

Militarisé et très bien organisé, il finance des hôpitaux, des écoles, et possède une armée plus puissante que celle du Liban, qui n'a jamais osé l'attaquer de front et ne l'a jamais désarmée, contrairement aux autres milices du pays.

Plus encore que les Palestiniens, il constitue un véritable état dans l'état.

Après plusieurs années d'occupation et le retour de la paix, Israël puis la Syrie finirent par se retirer (le roman "Beaufort", de Ron Leshem, décrit à merveille le départ côté israélien), mais les problèmes restèrent.

Le Liban est en effet toujours un pays écartelé entre ses communautés, toutes soumises à des influences étrangères très fortes.

Ainsi les chiites sont très liés à l'Iran et les sunnites aux puissances du Golfe.

En revanche, le poids des anciens protecteurs français des chrétiens a considérablement diminué, à la fois du fait d'une politique moins volontariste de l'Hexagone, du différentiel de fécondité avec les autres groupes, et du départ de toute l'élite chrétienne francophone, riche et éduquée au cours de la guerre.

Il semblerait toutefois qu'elle ait connu un certain renouveau dans les années 90, quand beaucoup de Libano-Africains fuirent des pays en faillite pour retourner dans celui de leurs ancêtres.

Malgré cette guerre tragique, le Liban reste encore une espèce de ballon d'oxygène pour le monde arabe, dont il est le pays le moins conservateur et le plus créatif, réussissant à garder encore un peu le statut de pont entre l'Orient et l'Occident qu'il eut jadis.

Ses habitants sont à peu près 6.000.000, mais la diaspora libanaise est bien plus conséquente puisqu'on en retrouve des membres partout où l'empire français s'est étendu, métropole comprise, ainsi qu'en Australie, en Amérique du sud, aux États-Unis, en Scandinavie, au Canada, etc.

2. La Syrie

La ligne Skyes-Picot a établi les frontières de la Syrie avec l'Irak et la Jordanie, mais c'est la France seule qui continua le découpage, en en extrayant le Liban, puis en "donnant" à la république turque le sandjak d'Alexandrette (après en avoir fait l'éphémère république du Hatay).

La Syrie naquit donc en 1946 sur un territoire dont elle contestait plus que d'autres les frontières. L'annexion du plateau du Golan par Israël suite à la guerre des six jours en 1967 lui donna une autre revendication, d'autant que cette région d'altitude est hautement stratégique militairement et du point de vue des ressources aquifères (on la surnomme le château d'eau de l'Orient).

Dès l'indépendance, une série de coups d'état militaires balayèrent la république cliente mise en place par la France, et les pouvoirs militaires se succédèrent.

En 1958 fut tentée la fusion du pays avec l’Égypte, sous la forme d'une République Arabe Unie.

Pour diverses raisons, et notamment le fait que Nasser donnait l'impression d'avoir annexé la Syrie plutôt que de s'y unir, le projet tourna court (comme la future union de l'Égypte et de la Libye).

Et en 1961, un nouveau coup d'état rendit sa souveraineté à Damas qui donna le pouvoir au parti baas.

Celui-ci est né en Syrie en 1947, et constitue une variante du vieux rêve d'unification de toutes les régions de langue et de culture arabe en une seule entité (comme le royaume rêvé par le roi Hussein quand il rejoint les Anglais contre les Turcs).

Ses fondateurs, le chrétien orthodoxe Michel Aflak et le sunnite Salah al-Din Bitar imaginèrent le baasisme comme une synthèse arabe du nationalisme et du socialisme.

Autoritaire, laïc mais anti-athée et reconnaissant une place spéciale à l'islam dans cette aire civilisationnelle, le mouvement avait pour horizon la création d'une grande république arabe, puissante et indépendante de toute ingérence extérieure.

C'est cette doctrine qui fut appliqué en Syrie à partir de 1961 avec notamment la mise en place d'une économie largement nationalisée et de liens très étroits avec l'Union Soviétique.

En 1966, un autre groupe de militaires prit le pouvoir, chassant les fondateurs du baasisme tout en continuant à s'en réclamer pour légitimer leur action.

Un an plus tard, ils chutèrent à leur tour, suite à la catastrophique guerre des six jours et à la perte du Golan.

C'est alors le ministre de la Défense Hafez el Assad qui s'empara du pouvoir, mettant fin à l'instabilité chronique que connaissait la Syrie depuis la fin du mandat français, et initiant l'une des plus longues dictatures du monde arabe.

Son pouvoir s'appuyait d'abord sur sa communauté religieuse, les Alaouites, qui représentent de 10 à 12% des Syriens et fournissent aux Assad des fidèles acharnés.

Ensuite, afin de se concilier les autres minorités religieuses (notamment les 10% de chrétiens, les 5% de chiites et d'autres groupes, comme les yazidis) Assad continua à se réclamer du parti Baas et de son laïcisme, n'hésitant pas à écraser dans le sang les mouvements islamistes (notamment les Frères musulmans en 1982).

Afin de transcender les divisions, il sut également galvaniser le nationalisme de tous les Syriens, entretenant la haine d'Israël face auquel il fut toujours un partisan de la ligne dure. Il mit aussi en place un culte de la personnalité digne de Ceausescu.

Enfin, un appareil de sécurité extrêmement sophistiqué et une armée puissante lui permirent de durer jusqu'à sa mort, en 2.000.

Bassel, le fils aîné d'Hafez el Assad et son dauphin désigné, trouva en 1994 la mort dans un accident de voiture. Ce décès prématuré obligea le régime à se rabattre sur le second fils du dictateur, Bachar, un étudiant en ophtalmologie qui n'avait pas été formé à gouverner et semblait présenter fort peu d'intérêt pour la politique.

Lorsqu'il succéda à son père, un vent de liberté souffla sur la Syrie (on parle de printemps de Damas), et son avènement donna l'espoir d'une ouverture du régime.

Mais rapidement, il fit marche arrière toute, remplissant de nouveau les prisons et verrouillant toute opposition ou contestation jusqu'au printemps arabe.

Peuplée de plus de 22.000.000 d'habitants, la Syrie est jeune, 45% de ses habitants ayant moins de 20 ans.

3. La Jordanie

La Jordanie correspond à une région périphérique de l'empire ottoman, qui ne devint importante que lorsque les Britanniques décidèrent, au début du XXième siècle, d'y créer un contre-feu face à la puissance turque.

Le marché est connu: ils proposèrent au roi Hussein, chef de file des Hachémites et leader des tribus arabes, une alliance contre les Ottomans en échange de la constitution d'un grand royaume arabe.

Après l'effondrement de la Sublime Porte, la promesse ne fut toutefois pas tenue et la région se retrouva morcelée, d'abord entre mandats britanniques et français, puis à l'intérieur même de la partie dévolue aux Anglais.

En guise de grand royaume, les fils d'Hussein, mort depuis, se retrouvèrent l'un à la tête de l'Irak, l'autre de la Transjordanie, un petit territoire enclavé et co-administré par le Royaume-Uni, tandis que la Palestine restait sous l'autorité directe de Londres, qui y favorisait la création d'un foyer national juif.

Peu à peu les Britanniques se désengagèrent de la région, et en 1946 la Transjordanie accéda à l'indépendance, sous la forme d'une monarchie constitutionnelle rebaptisée Royaume hachémite de Jordanie.

Comme tous les pays arabes, elle s'opposa à la création d'Israël, et lors de la guerre d'indépendance de l'état hébreu, elle traversa le Jourdain et prit le contrôle de la Cisjordanie et de Jérusalem Est.

Son armée, la légion arabe, constituée de bédouins et formée par les Britanniques, était de l'aveu d'Israël, le seul adversaire avec lequel Tsahal devait vraiment compter.

En 1957, la Jordanie a fait elle aussi partie d'un projet de fusion étatique, avec l'Irak cette fois-ci, dont le roi était le frère du monarque jordanien. Mais cette aventure tourna court lorsque celui-ci fut renversé moins d'un an plus tard.

En 1967, suite à la guerre des 6 jours, Israël attaqua par surprise les troupes arabes unies et doubla son territoire, s'emparant sans coup férir de Jérusalem Est et de toute la Cisjordanie.

Cette conquête entraîna la fuite en Jordanie de centaines de milliers de Palestiniens, qui s'ajoutèrent à tous ceux qui s'y étaient déjà installés lors la naissance de l'état hébreu.

Comme au Liban, ils voulurent y réorganiser la reconquête et entrèrent rapidement en opposition avec les autorités jordaniennes, le conflit allant jusqu'à une tentative d'assassinat du roi par des fedayins.

La réaction du monarque fut brutale, et en 1970, l'armée fut envoyer pour écraser le QG des Palestiniens. Une répression sans merci fut ordonnée et entraîna la fuite des principaux chefs fedayins, épargnant à la Jordanie le sort du Liban.

Les Palestiniens qui restèrent composent plus de la moitié des habitants de la Jordanie mais ne posent plus de problème et semblent adhérer au pays.

A partir de cet événement, la Jordanie cessa toute revendication territoriale, reconnut l'OLP comme représentant de la Palestine et d'une manière générale adopta une attitude prudente et un peu en retrait vis-à-vis des différents conflits de la région, liés à Israël ou non.

La population de ce petit état de presque 8 millions d'habitants est composé d'une très grande majorité d'Arabes sunnites, mais compté également 6% de chrétiens et quelques minorités ethniques comme les Kurdes ou des Tcherkesses.

Malgré un attachement à la monarchie, des contestations ont éclaté de temps à autre, et l'islamisme travaille également une partie de la population.

4. L'Irak

A l'inverse de la Jordanie, l'Irak a toujours été une région convoitée et intégrée aux flux mondiaux. Partie prenante du croissant fertile, bénéficiant d'un accès au golfe arabo-persique et de grandes villes à l'histoire millénaire, cette partie de la Syrie ottomane était vue avec convoitise par le Royaume-Uni, toujours soucieux de contrôler les routes des Indes et également attiré par les promesses de pétrole (l'Irak possède 10% des réserves mondiales).

C'est ainsi que suite à la Première guerre mondiale et aux accords Skyes Picot, Londres obtint un mandat de la SDN sur l'Irak, dont il voulut faire un royaume client en mettant sur le trône un hachémite, fils du roi Hussein qui les avaient aidé à chasser les Turcs et frère du roi de Jordanie.

Un coup d'état républicain soutenu par les nazis fit vaciller le trône en 1941, qui tomba définitivement en 1958, une série de généraux prenant successivement le pouvoir, toujours au nom du parti baas, jusqu'à l'avènement de Saddam Hussein en 1968.

La configuration ethno-religieuse de l'Irak est délicate.

La majorité de la population, environ 60%, est arabe et chiite, mais elle a toujours été dominée par un pouvoir sunnite, religion des anciens maîtres turcs, de l'importante minorité kurde (20% de la population), puis de la minorité arabe qui prit le pouvoir à l'indépendance.

Les chrétiens représentaient 5% de la population, et leur bon traitement et intégration était une vitrine du régime. On se souvent de Tarek Aziz, un des proches de Saddam Hussein très présent dans les médias lors de la première guerre du Golfe.

L'Irak comportait également une importante et très ancienne communauté juive (le pays est fréquemment cité dans la Torah: c'est de la ville d'Ur qu'Abraham est censé être parti pour la terre promise, et c'est à Babylone que les Hébreux connurent leur premier exil).

Mais la quasi intégralité de ses membres à fui en Israël les pogromes et la discrimination, perdant tout et devenant un argument pour les propositions de règlement global de la question des réfugiés pour le pouvoir de Tel Aviv.

Coté ethnique, il y a les Kurdes, dont la proportion est aussi importante en Irak qu'en Turquie (20%) et qui se sont révoltés très régulièrement contre le pouvoir central et pour leur reconnaissance. Selon les époques, ils obtinrent des droits ou furent réprimés brutalement.

Saddam Hussein tint le pays d'une main de fer, écrasant chaque ferment de révolte et se réclamant du baasisme (il retint Michel Aflak, son fondateur, à Bagdad jusqu'à sa mort, l'empêchant de quitter le pays).

Sa version du parti panarabe était toutefois très personnelle, différant à la fois des idées initiales et de celle de son homologue syrien.

Le parti baas irakien était ainsi très militarisé, avec des représentants fréquemment en uniforme. Il quadrillait la société en profondeur, et pouvait faire penser au parti communiste cubain dans sa forme d'organisation.

Lorsque le pouvoir iranien tomba aux mains des islamistes, Saddam Hussein décida de lancer une guerre contre Téhéran, craignant une contagion de sa majorité chiite.

Le conflit, long et sanglant, dura de 1980 à 1988 et s'acheva sans vainqueur. Il fit des millions de martyres, fut sans merci et tous les moyens furent utilisés: enfants démineurs côté iranien, armes chimiques côté irakien, etc...

Deux ans après la fin des hostilités, le belliqueux Saddam Hussein se lança cette fois-ci à l'assaut du Koweït, l'annexant purement et simplement et déclenchant la première guerre du Golfe.

Lors de celle-ci, une coalition internationale menée par Georges Bush père se porta au secours du petit pays, tandis que chiites et kurdes irakiens en profiter pour se soulever de nouveau et étaient réprimés dans le sang.

Le Koweit fut libéré, et un cessez-le-feu fut imposé à l'Irak par les forces occidentales, qui obligèrent le dictateur à donner une large autonomie au Kurdistan et lancèrent en parallèle un embargo très dur contre le pays, qui subit une chute drastique de son niveau de vie.

Dernier acte pour Saddam Hussein: suite aux attentats du 11/09/2001, Bush fils décida de terminer le travail de son père et sur la base de fausses preuves d'armes de destruction massive, il envoya une coalition non approuvée par l'ONU envahir l'Irak.

Débarquée en 2003, celle-ci aboutit bien vite à la chute du régime, mais la suite fut rien moins que concluante.

En effet, des guérillas s'installèrent, les différents mouvements islamistes s'implantèrent durablement, tandis que les conflits inter-communautaires s'exacerbaient.

Les chiites, favorisés par Washington, prirent leur revanche sur les sunnites, et les chrétiens, coincés entre les factions, commencèrent à fuir le pays.

Seul le Kurdistan semblait tirer son épingle du jeu, consolidant son statut autonome.

En 2011, lorsque Barack Obama retira les dernières troupes américaines, il laissait un état très fragile et dont les niveaux de vie et d'équipement avaient dramatiquement baissé (aujourd'hui encore le PIB reste inférieur à son niveau de 1950...).

L'Irak comporte 36.000.000 d'habitants, dont 40% ont moins de 20 ans. .

Ce bref portrait des états post coloniaux étant terminé, je vais refaire une passe dans le prochain post sur les problèmes transverses de la région, c'est-à-dire qui ne relèvent pas d'un seul état.

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