vendredi 26 juin 2015

La nouvelle guerre de Trente ans (1) - Introduction

J'apprécie de lire la presse étrangère francophone lorsque je le peux. J'ai ainsi découvert il y a quelques temps l'Orient le jour, intéressant journal libanais traitant de divers sujets.

Je suis notamment tombé sur un article qui décrivait la triste situation de l'ex-grande Syrie et qui la comparait à celle des états allemands pendant la Guerre de Trente ans. C'est cette réflexion qui m'a inspiré la série de posts que je commence aujourd'hui.

Rappel historique

On désigne par Guerre de Trente Ans une période postérieure à la Réforme protestante pendant laquelle les états qui correspondent à l'actuelle Allemagne se sont déchirés en un conflit interminable et sanglant.

Les états catholiques s'opposaient aux états luthériens puis aux états calvinistes, ces derniers s'opposant eux-mêmes entre eux, mais la religion n'était en fait qu'un aspect de l'affrontement dont il était question.

En effet, l'enjeu était également l'organisation du pouvoir et la conception de l'état. C'était aussi l'impérialisme dynastique qui luttait contre les princes locaux.

Tout au long de cette guerre, des puissances étrangères (France, Suède, Autriche, Espagne...) sont intervenues, ensemble ou successivement, en fonction de leurs propres intérêts, ajoutant à la violence et à la confusion.

Ce conflit catastrophique, dont on dit qu'il divisa la population des états allemands par deux, s'acheva en quelque sorte par épuisement des forces en présence, lorsque les traités de Westphalie vinrent officialiser les nouveaux équilibres.

Cette paix si chèrement acquise marqua la fin du rêve hégémonique d'une monarchie catholique universelle et fit comprendre à tous la nécessité d'une organisation pragmatique et équilibrée des différents états et confessions.

Avant de montrer pourquoi l'analogie avec le Proche-Orient actuel me semble pertinente, je vais faire un petit descriptif de la partie du Proche-Orient dont je vais parler.

Région concernée

La région que je vais évoquer couvre grosso modo les pays suivants: Liban, Syrie, Irak, Israël, Palestine, Jordanie et Koweït.

Elle se situe dans le prolongement de la péninsule arabique et est délimitée au nord par le monde turc, à l'est par le monde perse et à l'ouest par la mer Méditerranée.

Cette position de carrefour entre des puissances et des civilisations fortes a fait que ce territoire a subi le passage de très nombreux peuples et conquérants, qu'il a été intégré, a fait et fait encore partie de plusieurs routes commerciales et aires civilisationnelles.

Géographiquement parlant, des zones fertiles et accueillantes y alternent avec d'autres plus arides et ingrates, voire désertiques, et beaucoup d'endroits sont difficiles à contrôler (déserts, montagnes, marécages...). Ceux-ci furent au cours du temps autant de sanctuaires pour des communautés en quête de refuge.

Cet espace est de plus riche en pétrole, en Irak et au Koweït principalement, et l'accès à ces ressources le rend stratégique à l'échelle du monde.

Dernier point, mais non des moindres, c'est aussi là que sont nées les trois religions abrahamiques, ainsi que l'écriture.

En bref, on parle d'une zone de contact entre plusieurs civilisations, au très riche passé et d'une grande diversité.

Je vais maintenant lister les différentes communautés qui constitue cette diversité, pour bien en comprendre la complexité.

Les communautés

Par le terme "communauté", je désigne des peuples, des groupes religieux, et enfin des tribus.

Ce dernier niveau est très important, car les hiérarchies traditionnelles sont encore très vivantes au Proche-Orient.

L'individu n'existe que peu, on suit prioritairement sa famille, son clan, ses obligés, dont la loi prime souvent sur celles des états.

On se marie dans son groupe, on y prie (la religion y est généralement la même), on y trouve du travail, du soutien, on l'aide sans condition, parfois les armes à la main.

Et c'est prioritairement au sein de leur tribu que les dirigeants recrutent leurs fidèles, leurs fonctionnaires, leurs forces armées et les seuls soutiens en qui ils aient vraiment confiance.

- les peuples

La très grande majorité des habitants de la région est arabe. Cet espace fait en effet partie des toutes premières conquêtes des troupes de Mahomet lorsqu'il se lança à l'assaut du monde.

L'arabe y est donc la langue dominante, dans une forme plus pure qu'au Maghreb ou en Afrique noire, les traits culturels sont ceux de cette culture, et malgré les divisions religieuses, c'est un point commun très structurant.

C'est d'ailleurs au nom de cette culture que sont nés les mouvements panarabes, et le rêve porté par les élites de la région a longtemps été la création d'un grand état arabe moderne et unifié.

Et même chez certaines minorités dont les ascendances sont (ou se veulent) plus variées, comme chez les chrétiens libanais qui aiment parfois se dire Phéniciens, le fond arabe a pris le dessus.

Comme je le disais plus haut, ces Arabes se divisent en fonction de leurs origines tribales et/ou religieuses, mais certains groupes ont de plus un statut particulier.

Par exemple, les Arabes des marais en Irak se singularisent par un mode de vie original qui les a séparés du pouvoir et fait évoluer différemment.

Il y a aussi le cas particulier du peuple palestinien, qui n'a pas d'état et dont le statut reste précaire depuis la Nakba, qu'ils résident en Israël, dans les territoires occupés ou dans l'un des nombreux camps de réfugiés des pays arabes alentour. Je reviendrai sur leur histoire ultérieurement.

La première grande minorité non arabe n'a pas non plus de pays. Il s'agit des Kurdes.

Ce peuple, d'un nombre respectable (on les estime à 40.000.000 dans le monde) vit essentiellement au Kurdistan, région historique à cheval sur quatre états (Turquie, Iran, Irak et Syrie) et dans les grandes villes desdits états où d'importants groupes se sont enracinés.

Grands oubliés du découpage post-colonial de la région, ils représentent néanmoins des minorités parfois considérables, mais toujours réprimées et/ou niées.

Bien qu'ils parlent des dialectes variés et qu'ils aient des coutumes différentes, leur conscience nationale est très forte et leur rêve d'un état persiste.

Les écroulements des états syriens et irakiens leur en ont donné un avant-goût et une opportunité historique.

L'autre grand "peuple" non arabe de la région est celui vers lequel les regards du monde sont toujours tournés: les juifs israéliens.

Leur cas est un peu plus complexe: leur très grande majorité s'est installée dans la région au cours du siècle dernier, cette communauté se compose de migrants juifs venus du monde entier, y compris du monde arabe, et le pays se rattache culturellement et historiquement au monde occidental.

Enfin, il y a aussi dans cette région des communautés non arabes anciennement implantées, généralement des chrétiens comme les Grecs ou les Arméniens, mais ils sont en voie de disparition accélérée.

- les groupes religieux

La religion principale de la région est l'islam sunnite. C'est celle d'une grosse majorité des Arabes et des Kurdes.

En deuxième lieu vient l'islam chiite orthodoxe. Leurs fidèles sont majoritaires sur le territoire de l'Irak et représentent une minorité très puissante au Liban.

Du chiisme sont issus plusieurs autres courants, pas forcément reconnus comme musulmans par les autres (y compris par les chiites) mais bien établis.

Les plus connus sont les Alaouites, minorité syrienne devenue suffisamment puissante pour avoir réussi à prendre le pouvoir avec Hafez-el-Hassad et tenir le pays jusqu'au début de la guerre de 2011.

En troisième position on trouve les chrétiens. Très divisés, parfois en conflit, ils sont issus des églises les plus anciennes du monde. On l'oublie en effet parfois, mais le christianisme est né dans cette région.

Si les maronites, principale communauté chrétienne sur ce territoire et qui a longtemps dominé le Liban, semble pouvoir résister, le sort des autres chrétiens est actuellement préoccupant, sinon tragique.

Instrumentalisés par les dictateurs, ils servent de boucs émissaires dans les guerres actuelles et leur nombre est en chute libre.

Enfin, on rencontre plusieurs autres communautés religieuses ésotériques apparues dans la région et qui ont pu s'y maintenir au cours du temps.

Les druzes sont très présents au Liban mais également en Syrie et en Israël.

Les yézidis, étrange secte syncrétiste que les atrocités de Daesch ont remis sur le devant de la scène, sont présents en Irak et en Syrie.

De la grande Syrie ottomane aux mandats de la SDN puis aux indépendances

Comme je l'expliquais en introduction, les conquérants se sont succédé dans la région, chacun apportant ses colons, sa religion, son pouvoir. Je ne remonterai dans ce paragraphe qu'au découpage intervenu au 20e siècle.

Pendant longtemps les futurs états du Proche-Orient ont été réunis en une seule entité sous l'autorité du sultan d'Istanbul: pas de frontières autres qu'interne, un pouvoir musulman sunnite relativement tolérant, une circulation facilité, bref une grande stabilité.

Mais à partir du 19e siècle, quand l'empire turc commença à se déliter et à progressivement reculer, les puissances étrangères se mirent à s'intéresser aux territoires contrôlés par Istanbul et à intriguer pour l'en déposséder.

Leurs motivations étaient diverses.

L'Angleterre cherchait à contrôler toujours plus la route des Indes.

La France prenait pour prétexte la protection des chrétiens d'Orient.

L'Allemagne était désireuse d'équiper la région et de profiter de ses relations privilégiées avec la Porte pour y écouler son industrie (notamment les trains).

La Russie utilisait les minorités arméniennes pour continuer la progression historique de son empire vers le sud.

Les sionistes, tentaient d'obtenir du Sultan ottoman au moins la liberté de s'installer en Palestine pour lancer la création de leur état tant espéré.

Enfin, il y avait le pétrole.

Chacun utilisait ses alliés, poussait ses pions, manipulait sans scrupules les communautés.

Le "coup" le plus connu est le marché proposé par les Britanniques aux nationalistes arabes (notamment par l'intermédiaire du fameux Lawrence d'Arabie): ils leur garantissaient la création d'un état arabe uni en échange de leur soulèvement contre les Ottomans.

Mais en même temps ils signaient un plan de partage secret de la région avec la France: ce sont les fameux accords Skyes-Picot qui font encore autorité aujourd'hui pour les frontières régionales (toutefois largement basées sur le découpage ottoman).

Lorsque la Première Guerre Mondiale éclata, tout le monde se jeta dans la mêlée, et le résultat fut l'écroulement de la puissance turque.

Cette disparition d'un empire multiséculaire se fit dans le sang et s'accompagna du génocide arménien, dont une grande partie eut lieu pendant leur déportation en Syrie, où certains se réfugièrent.

A la fin des combats, le destin de l'ancienne province fut laissée entre les mains de la Société des Nations, ancêtre de l'ONU.

Celle-ci entérina le plan de partage franco-anglais en distribuant des "mandats" aux deux puissances coloniales sur les provinces des vaincus (on fit de même avec les ex-colonies de l'autre vaincu, l'Allemagne).

La France reçut l'actuelle Syrie et le Liban, le Royaume-Uni récupéra Jordanie, Palestine et Irak, et la promesse d'un grand royaume arabe fut renvoyée aux oubliettes.

Et comme pour les autres projets coloniaux, les frontières furent dessinées selon les intérêts propres de chacun, et les pays administrés en utilisant les rivalités entre communautés et pouvoirs locaux.

Par exemple la France, en accord avec les maronites, tailla un Liban à dominante chrétienne mais multi-religieux.

Cela permettait de découper la région en deux entités et de pérenniser un état client pas forcément trop pressé de s'émanciper. Cela donnait aussi aux maronites un accès à la plaine et à la mer, garantie d'une plus grande viabilité.

En Syrie, elle s'appuya sur la minorité alaouite, alors la plus pauvre et la plus ostracisée, pour s'assurer une clientèle.

Enfin, elle donna la région à peuplement mixte du Sandjak d'Alexandrette à la république turque en signe d'apaisement diplomatique (celle-ci fut vite soumise à une politique de turquisation à outrance et reste revendiquée par tous les pouvoirs arabes qui ont suivi).

De son côté le Royaume-Uni confirma le détachement du Koweït de l'Irak, afin d'avoir là aussi deux interlocuteurs, et via la déclaration Balfour, donna un coup de pouce décisif au projet sioniste.

Au final, ces mandats de la SDN, censément des périodes de tutelle préparatoires à l'indépendance, se réduisirent à des permis de coloniser et ces territoires rejoignirent les deux empires au même titre que les autres conquêtes de Londres et Paris.

La fin de la Seconde Guerre Mondiale remit la question orientale au gout du jour.

Les indépendances étaient souhaitées autant par les colonisés que par les deux superpuissances avides de se créer des nouveaux clients économiques et idéologiques, et les puissances mandataires durent finir par reconnaitre la souveraineté de chacune des entités qu'ils avaient créées.

Apparurent alors les états qui nous intéressent et dont je poursuivrai la description dans un prochain post.

Suivant: La nouvelle guerre de Trente ans (2) - les états post-coloniaux

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire