vendredi 10 avril 2015

Musique(9): Michel Sardou

Je ne suis pas particulièrement fan de Michel Sardou, mais c'est un chanteur qui a bercé mon enfance.

J'avais en effet un frère qui l'appréciait énormément, mes parents l'aimaient également beaucoup, on l'entendait à la radio on le voyait très souvent à la télé.

Bref, il faisait réellement partie du paysage, et qu'on l'aime ou pas on le connaissait, surtout à cette époque de média monolithique et incontournable (comme je l'évoque ICI).

Doté d'une voix puissante et basse aisément identifiable, il chante en s'accompagnant d'orchestrations souvent un peu mélodramatiques, avec des refrains et des mélodies faciles à retenir.

Musicalement, ses chansons se classent dans ce qu'on appelle la variété, ce mélange de chansonnette et de music-hall mâtiné de rock et de pop qui tint longtemps le haut du pavé de la chanson made in France.

Au niveau des textes, qu'il co-écrit, on peut distinguer trois grands groupes de chansons.

Tout d'abord les chansons simples, dont les sujets sont l'amour, les petites gens, la vie de tous les jours.

Il y parle de la France avec amour et délectation, évoque la religion, le village, l'armée et le service militaire, l'école, la vie de couple, la vieillesse, la mort...des thèmes qui parlent au Français lambda.

Toujours dans ce registre-là, il se fait souvent grivois, voire machiste et paillard, et n'hésite pas à donner une couleur comique à son répertoire.

Ce style de chansons se rattache à la longue tradition de chansons populaires de notre pays, aux bals, aux ritournelles.

Dans le deuxième groupe de titres, il convoque l'Histoire, l'épopée, l'aventure, l'exotisme (frelaté ou non). Pour certains d'entre eux, il peut se faire mystique et profond.

Enfin il y a le groupe des chansons engagées: Sardou n'est en effet pas qu'un interprète et il est aussi connu pour ses prises de position que pour sa musique.

Beaucoup de ses titres sont ainsi des illustrations de ce que lui inspire/inspirait l'actualité, réactions rarement tièdes et plutôt à droite.

Du coup, dans ces années 70 où l'empoignade politique et le manichéisme étaient la règle (et où l'establishment intellectuel et artistique était de l'autre bord), Sardou était devenu un chanteur extrêmement clivant.

Ses déclarations ont souvent fait polémique et il a été très détesté et critiqué, suscitant suffisamment de haine pour que se montent des comités anti-Sardou tentant d'interdire ses concerts, qu'un livre Faut-il brûler Sardou? soit édité et qu'il y ait même des tentatives d'attentat sur sa personne.

Mais à cette haine correspondait tout autant d'adulation puisqu'il fut très longtemps le chanteur le plus populaire de l'Hexagone (ce qui posait d'ailleurs un vrai problème intellectuel à ses détracteurs, pour qui le peuple avait toujours raison).

Pour résumer, il était à la variété ce que Johnny Hallyday était au rock.

Aujourd'hui, réentendre ses chansons, souvent gauloises, machistes (le nombre de titres où il parle de seins m'a toujours impressionné!), chauvines et moqueuses, c'est revoir une série d'instantanés de l'époque et entrer dans la psyché du Français moyen de ce moment-là.

C'est à ce titre (plus bien sûr une certaine nostalgie) qu'il m'intéresse et m'a inspiré ce post.

Je vais terminer en citant quelques chansons qui illustrent bien cette conclusion et/ou que j'apprécie.

- Les Ricains (1967)

Ce titre est un peu celui qui lança sa légende.

Vibrant hommage aux libérateurs de 1944, il est sorti à l'époque où l'anti américanisme était quasi officiel dans l'Hexagone (retrait de la France de l'OTAN, condamnation de la guerre du Vietnam) et prenait vraiment l'opinion à contre-courant.

Sardou y interrogeait les gens, leur demandant où en serait la France si les "Ricains" n'étaient pas venus en 1944.


Cette curieuse chanson raconte la vie d'un enfant interne dans l'après-guerre, et évoque deux sujets alors tabous: la masturbation et l'homosexualité (refoulée) dans la personne du Surveillant général qui donne le titre au morceau.


Ce titre donne la parole à un vieux couple qui se retourne sur son passé, mouvementé mais heureux.

Il se voulait l'antithèse du très sombre Les vieux de Jacques Brel et ses paroles furent critiquées pour leur côté machiste/paternaliste.


Cette chanson dresse un portrait d'un homme urbain moderne, pâle engrenage frustré d'une société déshumanisée qui, lorsqu'il a bu, rêve de violence, de vandalisme, de viol, tout en sachant très bien qu'il ne le fera pas. Civilisé malgré lui, il le regrette un peu.

Pour ce titre Sardou fut accusé d'apologie du viol.


Chanson hommage à sa mère qui fit un carton monumental.

- Le France (1975)

Cette chanson donne la parole a l'ex-plus grand paquebot du monde, le France, qui fut vendu en 1974 pour cause de non rentabilité, sonnant le glas de cette forme de tourisme où la France avait longtemps excellé.

Sardou y dénonce cet abandon, et sa nostalgie revendiquée d'une politique de grandeur à la De Gaulle a parlé à au moins un million de Français, puisque c'est le nombre de 45 tours qu'il vendit. Même le PCF salua le morceau.


Chanson qui fit un énorme scandale à sa sortie, et lui valut une étiquette de colonialiste dont il ne s'est jamais débarrassé.

Il y fait en effet parler un nostalgique de l'empire français qui regrette sans fard le bon temps où en tant que bwana il pouvait faire ce qu'il voulait sur un territoire immense.

- Je suis pour (1976)

Dans les années 70, la peine de mort était encore un sujet brûlant en France, et partisans et abolitionnistes s'affrontaient violemment.

Dans ce titre, Sardou fait réclamer par un père la mort de l'assassin de son fils. Il est sorti au beau milieu de l'affaire Patrick Henry, ce qui en rendit l'impact encore plus fort et enfonça un peu plus le chanteur dans son image droitière.

- Je vole (1978)

Titre auquel le récent film La famille Bélier redonne une jeunesse, il raconte la fugue d'un jeune quittant l'appartement familial pour l'Amérique. Sardou dira plus tard qu'en fait il parlait d'un suicide.

- En chantant (1978)

Petite chanson parlant de la nécessité de prendre la vie du bon côté, et sur le fait que chanter aide à ça.


Ce titre un peu métaphysique parle de la mort.

- L'autre femme (1981)

L'autre femme, c'est la prostituée, une campagnarde venue à Paris faire fortune dans ce domaine particulier dont il dresse un portrait très années 70 qui met un peu mal à l'aise.

- Être une femme (1981)

Carton monumental devenu un classique des discothèques. Dans ce titre Sardou s'imagine avoir changé de sexe et en profite pour dresser un portrait de la femme des années 80, enchainant un mélange de clichés sur un ton amusé.

En 2010 il en a sorti une nouvelle version tout aussi discutable et discutée.

- Vladimir Ilitch (1983)

Chanson condamnant ce qu'était devenu le bloc de l'Est, d'infâmes dictatures paupérisées et liberticides, mais en les opposant aux idéaux du fanatique Lénine, pour lequel il semble ici bien indulgent (à sa décharge, c'est le cas en France en général, et encore plus à l'époque).


Aujourd'hui Michel Sardou a 68 ans et les années où ses chansons comme sa grande gueule étaient incontournables sont désormais loin derrière nous, mais il reste un poids lourd de notre chanson. Et de mon enfance.


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