dimanche 5 avril 2015

Adolescence

Mon fils aîné approche de l'adolescence.

Bientôt il arrivera dans cet entre-deux si particulier, où l'on doit se trouver, se détacher de sa famille pour construire sa propre place dans le monde.

Cela me questionne beaucoup.

Il parait que l'adolescence n'existait pas en tant que période identifiée jusqu'à la fin du 20ième siècle.

Cela était dû au fait que la très grande majorité des gens commençait à travailler dès que c'était physiquement possible, que ce soit pour aider la mère à tenir la maison dans le cas des filles, ou pour participer aux travaux agricoles, de l'atelier, de la mine, etc., pour les garçons.

Le temps de l'adolescence s'est construit avec d'une part la généralisation puis l'allongement des études, d'autre part les lois restreignant le travail des enfants, ces deux tendances finissant par dégager un temps de disponibilité nouveau, à mi-chemin entre l'enfance et l'âge adulte.

Ce nouveau temps, puis la standardisation des modes de vie et la société de consommation ont fait peu à peu naitre "l'ado", avec sa musique, ses préoccupations, ses bandes d'amis, etc.

Et avec la fin de l'exigence préalable de faire tourner son propre foyer pour exister individuellement et avoir voix au chapitre, l'adolescence est devenue un statut à part entière.

C'est ainsi que l'ado d'aujourd'hui a des droits, n'est plus soumis inconditionnellement à ses parents et qu'il existe longtemps sans forcément avoir de revenu.

Et cette nouvelle période de la vie a obtenu pleinement droit de cité, même s'il y a encore dans le monde, et même dans notre pays, des gens que la vie d'adulte happe dès la sortie de l'enfance, voire même avant.

En tous les cas, chaque personne, quelle que soit sa condition, passe au moins biologiquement par l’adolescence.

A cette phase du développement physique, la puberté, correspondent en effet des bouleversements importants.

On doit apprivoiser un corps qui vous échappe et vous affole lorsque les dimorphismes sexuels apparaissent (d'autant plus qu'instincts et attirances accompagnent cette apparition) et dont les périodes de croissance irrégulières vous perturbent.

On est souvent complexé, on a du mal à s'accepter, à se reconnaître, d’autant plus que la nature est parfois cruelle, comme avec l’acné, et que le psychisme est aussi touché.

A l'adolescence on est en effet dans un état d’esprit particulier, instable, fragile et indéterminé.

On est plus écorché, on s'exalte vite, on est capable de l'enthousiasme le plus délirant comme de l'état le plus dépressif, les deux se succédant parfois très rapidement.

L’adolescent a l'impression d'être seul au monde, ou plutôt d'être le premier au monde, parce que cette époque est plus qu’une autre celle des premières fois, des expériences nouvelles, que l’on craint autant qu’on les désire.

Et pour affronter ces épreuves, la famille ne suffit plus.

Elle devient étrangère, on a l’impression qu’elle ne comprend pas, qu'elle est un obstacle, qu’elle relève de l'autre monde, terne, corrompu et révoltant, si loin de la pureté et de l’idéal que l’on recherche à cet âge.

On se tourne donc vers le groupe, la communauté. On quitte la famille pour la bande, les amis, ceux dont la proximité permet de se sentir exister et rassure, ceux dont on a l’impression qu’ils comprennent et seront toujours là.

Cette quête de semblables entraine une ouverture au monde que l'on perd souvent par la suite et qui est encore proche de celle des petits enfants.

Les rencontres d’ados sont plus simples, plus faciles, plus évidentes, un peu moins fermées sur le milieu social, professionnel ou géographique qu’après.

Pourtant, la compétition et les hiérarchies existent, dès le début. Elles sont très dures, les rejets cruels et impitoyables.

C’est l’ère des souffre-douleurs, des victimes expiatoires, du tout ou rien et la pitié n'est pas de mise. Hors du groupe on n’est rien, il ne faut pas trop se singulariser, en être, et le prix d'une exclusion est très élevé.

Dans cette même idée, l'adolescence est le moment de la rébellion, sans doute aussi parce que celle-ci a encore peu de conséquences.

On s'habille en opposition avec "l'establishment" du moment, on écoute une musique et des artistes différents, on a son langage.

Le groupe et la génération doivent se singulariser, avoir leurs codes, contraires à ceux des adultes, invariablement ringards et dépassés.

On a la conviction essentielle d’être original, d’avoir inventé quelque chose de fondamentalement nouveau et de bien meilleur.

On ne veut pas devenir comme ceux qui nous ont précédés, tout en ne sachant pas très bien par quoi remplacer et en sentant parfois confusément qu'il n'y a pas le choix et que son heure finira par arriver.

L’adolescence se termine lorsque peu à peu on rejoint le troupeau, l’expérience ayant été plus ou moins loin, l'échelle allant de quelques simples engueulades à de vrais comportements à risque: alcool, drogue, excès en tout genre, parfois mal-être dégénérant en dépression, anorexie, tentatives de suicide...

Mais quel qu'ait été le chemin, vient le jour où l’on trouve ceux qui arrivent après nous puérils, immatures, incompréhensibles, énervants.

Même les "potes" finissent par être parfois encombrants, on éprouve moins le besoin de les voir. On redécouvre aussi les valeurs parentales, on se prend à apprécier ce qui nous semblait le summum du ringard , on se stabilise.

De l'adolescence, période forte de la vie, restent des amis, des souvenirs plus ou moins enfouis, de la nostalgie, des regrets ou de la honte.

Personnellement, je me souviens de mon adolescence de manière ambivalente. Je n'étais pas très heureux mais il y a des choses que j'en regrette.

Je crois que je n'avais pas très envie de grandir, mais mon milieu, financier et familial m'y poussait, pour pouvoir être enfin libre (croyais-je).

La première chose qui me frappe quand je pense à cette époque, c'est le rapport au temps.

Ado, j'avais en effet gardé de l'enfance l'idée d'un temps élastique, abondant, illimité pour ainsi dire. Il était certes borné par les rythmes scolaires, les promotions qui se succédaient, les devoirs, le permis, etc, mais j'avais toujours de longs moments à moi, d'autant plus que j'étais assez seul.

Quand je repense aux après-midis entières passées à lire, dessiner, écouter de la musique ou glander, j'ai le vertige. Je me demande même ce que je ferais en retrouvant ce rythme, si j'arriverais à remplir.

Ce temps disponible était lié à l'irresponsabilité.

Dans ma famille les tâches domestiques ont toujours relevé de ma mère (au foyer), et je n'ai pris la mesure de leur poids qu'avec le temps, au fur et à mesure de mon installation, de ma propre vie de famille.

En revanche je travaillais pas mal avec mon père, mais il y avait quand même un grand détachement des choses matérielles.

L'adolescence fut aussi le temps de l'exploration sans limite, de la musique, que j'écoutais à très haute dose et d'une manière que je suis incapable de reproduire aujourd'hui: en ne faisant que ça, pendant des heures, au casque ou non. Exploration sans fin des livres et bédés aussi, des films.

Je me souviens d’avoir été très seul hors temps scolaire, et pendant celui-ci dans le clan des perdants, de ceux qu’on ne remarquait pas, qu’on moquait parfois, de ceux qui ne comptaient pas surtout.

La musique et le cinéma ont parfois réussi à peindre ce qu'est ce moment. Je pense aux films Breakfast club et Le péril jeune, très sensibles et justes.

Je pense aussi à l’œuvre corrosive de Riad Sattouf, que ce soit ses bédés ou son film Les beaux gosses, très à rebours des teen movies édulcorés. Il y a enfin tous ces chanteurs, rockeurs, punks puis rappeurs qui racontent à leur manière l’éternelle même histoire.

Pour en revenir à mes fils, j'espère pouvoir les guider de loin, me rappeler suffisamment de ce que j'ai alors été et ressenti pour parvenir à être là s'ils ont besoin, réussir à leur transmettre des choses pour après.

Mais je sais que ce sera leur moment à eux, car comme pour les autres, il faudra que leur jeunesse se passe, et l’adolescence est ce moment indispensable où l’on doit apprendre seul, détaché des parents qui glissent du côté des vieux, cons ou non mais vieux.

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