vendredi 12 décembre 2014

Livres (9): Meursault, contre-enquête

Plus jeune, dès que j'ai su lire, je me suis rué sur tout ce qui pouvait me tomber sous la main, tapant dans les bibliothèques familiales, municipales, scolaires, etc, lisant tant des livres obscurs que des classiques ou des magazines.

C'est ainsi qu'un jour, je devais être au collège ou au début de mon lycée, je suis tombé sur l’Étranger, de Camus.

Je me souviens que ce livre me fit une impression très forte. Son ambiance étrange, son héros au détachement si anormal, les descriptions cliniques, l'absurdité...

Sans la comprendre, sans connaitre le contexte si particulier de l'Algérie française, je fus touché par l’œuvre et marqué par ce livre.

Je le retrouvai quelques années plus tard parmi ceux qu'il me fallait étudier pour le bac de Français. Cela me donna l'occasion de le relire, et c'est d'ailleurs sur son premier chapitre que je fus interrogé à l'oral.

Enfin je croisai une dernière fois l’Étranger lorsque je commençai mon exploration des diverses branches du rock et de ses sous-genres.

En effet le premier titre du groupe The cure Killing an arab est une référence directe à l’Étranger (et non un titre raciste comme le crurent certains nazis à l'époque !).

Bref, tout ça pour dire que ce bouquin fait partie de ces quelques classiques qui m'ont marqué, et que je l'ai lu plusieurs fois.

Cette introduction un peu longuette m'amène au livre d'aujourd'hui, Meursault, contre-enquête, écrit par le journaliste algérien d'expression française Kamel Daoud.

Cet auteur, que les lecteurs de SlateAfrique connaissent déjà pour ses articles percutants et profonds sur son pays, fait là une sorte de relecture de l’œuvre de Camus.

L'idée, qui m'a tout de suite séduite, est simple: il reprend l'histoire de l’Étranger, mais racontée par le frère de celui que Camus appelle simplement "L'Arabe" et que son héros assassine sur une plage un jour de grosse chaleur.

L'auteur donne une identité à cette victime en le nommant Moussa, pour la proximité de ce prénom avec Meursault, nom du héros de Camus.

Le narrateur de Daoud est vieux, amer, marginal. Il raconte sa vie à un mystérieux interlocuteur qu'il rencontre jour après jour dans l'un des derniers bars d'Algérie (dont il déplore au passage la disparition), se livrant de plus en plus à chaque entretien.

On comprend vite que le meurtre de son frère est l'événement qui a conditionné toute sa vie. On sent sa difficulté à exister en vivant seul avec sa mère dans l'ombre d'un disparu qui fut omniprésent, ainsi que son inadaptation à la société dans laquelle il vit.

Il évoque l'Algérie coloniale, ce décor de l’Étranger, mais cette fois du point de vue indigène.

Par son discours, Daoud y montre la frustration d"une population figée dans l'attente de la revanche, sa mise à l'écart et sa chosification par des colons pour lesquels ils sont plus une partie du décor que des personnes à part entière.

Cependant, là n'est pas l'essentiel puisque la vie de l'auteur se déroule aussi après l'indépendance et qu'il s'y pose les mêmes questions.

En fait, on finit par réaliser qu'il est un double du Meursault de Camus, son miroir indigène en quelque sorte.

Confronté aux mêmes questionnements et épreuves que lui, vivant le même rejet des conventions et obligations, il a lui aussi pleinement conscience de l'absurdité de l'existence.

Ce livre fascinant se lit très rapidement et donne envie de se replonger dans l’œuvre de Camus (ce que j'ai d'ailleurs fait).

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