mardi 29 avril 2014

Non désir d'enfant

Dans un précédent post, j'ai parlé du désir d'enfant, m'interrogeant sur ce qui le suscitait.

Aujourd'hui, je vais évoquer son contraire, à savoir le non désir d'enfant.

Dans le monde actuel, il n'y a finalement aucune raison logique de faire des enfants. Et pourtant, le souhait de procréer reste la norme et touche un jour ou l’autre la majorité des gens.

Les démographes nous indiquent néanmoins qu’on assiste de par le monde à une baisse régulière et générale de la fécondité.

Moins visible dans des pays pauvres encore très féconds tels le Niger ou l’Afghanistan, elle n’en est pas moins avérée sur tout le globe.

Et bien sûr cette baisse culmine dans les pays les plus évolués, où un nombre de personnes croissant n'a pas de descendance (l'article suivant indique par exemple qu'aujourd'hui en France un homme quinquagénaire sur cinq n'a pas d'enfant).

C’est de cette partie du monde que je vais parler.

J'exclus de cette réflexion la grande partie des sans enfant qui n'a pas choisi cet état, qu'il soit du à la stérilité, dont il semble qu'elle augmente sérieusement sous nos latitudes, à l'absence de partenaire (ces cas-là sont légion et j’en connais un paquet) ou à toute autre contrainte subie.

Je vais au contraire me concentrer sur ceux qui ont choisi de ne pas faire d'enfant alors qu'ils l'auraient pu.Et je précise dès maintenant qu’il n’y a pas de jugement moral dans ce que je vais écrire.

Motivations concrètes pour ne pas avoir d'enfant

Une des premières raisons auxquelles je pense c'est la peur.

La première crainte, qui ne concerne que les femmes, c’est le côté "technique" de la chose.

L’idée de la grossesse, avec ses changements pénibles, la modification de son corps dont on craint toujours l’irréversibilité (l’image d’une mama dégradée aux chairs avachies rôde encore dans les inconscients), les douleurs de l’accouchement, le côté organique de la chose, l'impression que votre corps ne vous appartient plus mais devient celui de la famille ou de la société, tout cela terrorise -et ça se comprend- plus d’une femme.

La deuxième crainte porte sur l'éducation de l'enfant: dès l'accouchement passé, on a souvent l'impression de débarquer sur un champ de bataille guère plus rassurant.

Avec le temps, notre vision sur la façon d'élever un enfant est en effet devenue extrêmement anxiogène. Pour ne pas le "rater", les règles sont aussi nombreuses que contradictoires.

Il faut qu’il mange bien dès le début sinon il deviendra obèse ou carencé.

Il faut le faire s’ouvrir au monde pour qu’il soit à l’aise et sociable.

Il faut commencer telle ou telle activité (musique, langues) très tôt parce qu’après ce sera trop tard.

Il faut être présent pour qu’il ne souffre pas de manque affectif.

Il ne faut pas être trop envahissant pour qu'il devienne autonome.

Il ne faut pas être violent verbalement ou physiquement pour ne pas en faire un soumis.

Il faut être ferme pour ne pas en faire un gâté.

Etc.

Cette liste interminable de "Il faut" tous affirmés avec aplomb et conviction, peut être terriblement angoissante, et cette angoisse pousse certaines personnes à renoncer à l’idée d’avoir un enfant, par peur de rater quelque chose d’essentiel au développement de leur progéniture, de ne pas être à la hauteur de la tâche.

Tout cela s’inscrit bien dans le côté compétitif de notre société actuelle, où on doit réussir sa vie familiale comme sa vie professionnelle, sexuelle, maitriser son corps, etc. L'enfant lui aussi doit correspondre à l'image d'Épinal du bambin parfait, coûte que coûte.

D'autant que l'accès libre à la contraception a créé une responsabilité de plus. L'enfant n'est plus une fatalité comme avant la pilule, désormais il est souhaité et planifié, et donc le rater est de plus en plus vu comme une faute puisque être parent est un choix.

Enfin la troisième crainte porte sur la "logistique" de la parentalité, et là encore c’est plutôt la femme qui est concernée.

L’arrivée de l’enfant va en effet commencer pour elle par un trou de carrière parfois redoutable. 

Et ensuite c’est encore trop souvent sur elle que va reposer la lourde tâche de gérer les modes de garde (le premier grand stress post naissance), les maladies, les réunions scolaires des enfants, etc.

Tous ces différents points donnent une image de la parentalité particulièrement flippante, et contribuent à en repousser au maximum le moment, voire à y renoncer.

L'aspect "civilisationnel" de l'absence de désir d'enfant

L'absence du désir d’enfanter peut aussi être vue comme l'aboutissement du détachement de l'homme de la Nature, la conclusion logique de l'individualisme, le choix personnel ultime.

En effet, aujourd’hui chacun a (ou est censé avoir) des projets, des envies, une carrière, des passions, des hobbies, toutes activités chronophages que la présence d’un enfant va contrarier, bousculer.

Il est donc parfaitement logique que quelqu’un qui veut se consacrer pleinement à ses désirs décide de ne pas "s’encombrer" d’un enfant, sachant toutes les difficultés qu’il y a à conjuguer toutes ses vies dans seulement 24h par jour.

En fait, on a l'impression que le conflit entre l'injonction d'enfanter, partie essentielle d'un mode de vie standard, et l'exigence de réalisation personnelle tourne peu à peu à l'avantage de la seconde.

Pour illustrer ce constat, il est intéressant de voir le lien très net entre le taux de fécondité et le niveau de développement en terme d'éducation des femmes et de résultats de l'économie: plus le second est élevé, plus le premier est bas.

Et cette relation prime sur la religiosité ou l'aire culturelle. On voit par exemple que l'Iran, qui est à la fois la première théocratie musulmane de la planète et un pays qui a plus d'étudiantes que d'étudiants, fait face à une chute très importante de son taux de fécondité, au même titre que d'autres pays comme Singapour ou la Norvège.

On peut même aller plus loin: les deux pays qui font le moins d'enfants sur cette planète sont le Japon et l'Allemagne, qui sont aussi dans le peloton de tête des puissances économiques.

Ce lien va dans le sens de l'argument que le développement entraine une distanciation de la maternité.

Conséquences

Mon dernier paragraphe évoquera ce que peut entrainer ce changement. Quelles conséquence peut avoir la baisse du désir d'enfanter et de la fécondité ? Est-ce un point positif ou négatif ? Je laisserai à leurs empoignades les partisans de l'une ou l'autre de ces appréciations pour me concentrer sur les conséquences concrètes et pratiques de cette baisse, en donnant la France comme exemple.

La première conséquence est un vieillissement global de la société, déjà en cours. Ce vieillissement a des effets sur l'ensemble du pays.

Il engendre une pression sans cesse accrue sur le financement des retraites (pour rappel, ce financement correspond chez nous à la moitié de la protection sociale) mais aussi sur la demande médicale, les personnes âgées étant plus consommatrices de soins et médicaments.

Il a également des effets sur les choix politiques: la classe d'âge la plus importante, dans notre cas les seniors, est naturellement privilégiée pour des raisons de poids électoral. L'offre publique va donc plutôt aller vers la création de maisons de retraite, la stabilité de l'inflation, la sécurité, toutes valeurs des classes les plus âgées.

La deuxième conséquence se fera sentir à plus long terme, mais risque d'être brutale. Notre pays va connaitre un véritable "crash" démographique, qui commencera lorsque les personnes nées durant le baby boom vont mourir, entrainant une explosion de la mortalité.

A ce moment-là la natalité, même si elle augmente, ne pourra pas compenser cette perte, du fait d'un phénomène de "classes creuses" de grande ampleur, dont la population n'est pas consciente mais qui équivaudra à celui produit par une guerre.

En effet, les enfants "non nés" des parents de la génération précédente, ne peuvent eux-mêmes avoir d'enfants, et donc l'effort de fécondité des enfants "nés" devra être démesuré pour compenser les décès.

J'illustre le fait par un exemple sur trois générations:

Génération 1 : 100 personnes
Génération 2 : ces 100 personnes font 50 enfants => la population totale est de 150 personnes
Génération 3 : les 50 personnes font 25 enfants => la population totale est de 175 personnes

Lorsque la génération 1 va mourir, la population totale passera de 175 personnes à 75 personnes. Elle sera donc plus que divisée par 2.

Pour rattraper le niveau précédent, il faudra que la Génération 3 fasse 100 enfants. Ce qui, sachant que cette génération se compose de 25 personnes, impliquera au moins 4 enfants par personne.

Quelles conclusions?

En soi, la baisse de population n'est pas forcément un mal (j'ai même tendance à penser que c'est un bien), mais il faut revoir le système en profondeur, qu'il s'agisse du marché du travail ou du financement de la protection sociale.

La solution trouvée par nos dirigeants pour compenser ces pertes sans changer le fond est un appel à l'immigration de plus en plus massif.

Cette solution ne tient pas la route à long terme.

En effet, la population baisse aussi dans les pays pourvoyeurs de migrants, donc la source finira par se tarir à son tour. Sans compter qu'au fur et à mesure que la problématique s'étendra à d'autres pays, la demande en immigrés ne pourra que croître, selon la classique loi de l'offre et de la demande.

Par ailleurs, cet appel n'est pas sans conséquence sur la société même des pays d'accueil. La culture se transmettant pour une très grande partie par la filiation, on peut craindre une rupture intergénérationnelle plus forte que ce qu'on avait connu jusque-là.

Pour conclure, je dirais que la raréfaction du désir d'enfant, avec son corollaire la baisse de la fécondité, est une réalité qui touche de plus en plus les pays les plus développés du globe et qui semble inexorable pour le reste de la planète.

C'est donc une donnée essentielle à prendre en compte pour anticiper notre futur et s'y préparer, loin des discours natalistes, du malthusianisme et des procès d'égoïsme.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire