samedi 19 avril 2014

Livres (5): Brut

Cet étrange livre m'a attiré dès que j'en ai lu l'idée principale, et sa lecture a tenu ses promesses.

L'auteur, un français dont je n'avais jamais entendu parler, imagine un monde où le prix du baril de pétrole a complètement explosé, traçant une différence encore plus énorme que celle qui existe aujourd'hui entre ceux qui n'en produisent pas et ceux qui en produisent. Parmi ces derniers, il y a la Norvège.

Et c'est en effet dans ce petit pays que se situe l'action. Enfin, l'action est beaucoup dire, puisqu'il s'agit plutôt de dépeindre l'impact de cette richesse brusque et soudaine sur un pays déjà développé.

Et de ce côté-là c'est très réussi. Dès le début une espèce de malaise s'installe, le sentiment que quelque chose est complètement faussé, que le jeu n'est pas juste, corrompu.

On sent que le pétrole est en arrière-plan de tout et que dans un monde où le mode de vie que nous connaissons s'est écroulé, la Norvège a tiré le gros lot.

Frioux montre de manière très réaliste l'impact de ce retournement sur le reste du monde, avec le développement des transports en commun devenu prioritaire pour tous les états, avec les gens qui redeviennent sédentaires par obligation et contre leur gré du fait du coût du kilomètre, se révoltant avant d'accepter la situation, avec l'avion qui redevient un luxe comme aux premiers temps...

Et à côté de cette remise en cause, il y a la Norvège, pays où l'état reste infiniment généreux avec sa population, investit dans son bien-être jusqu'à l’écœurement, tout en continuant à se vouloir exemplaire d'un point de vue "moral".

Pour ce faire, elle utilise son fonds d'investissement national de manière éthique, faisant pression sur les entreprises dans lesquelles elle met de l'argent, elle a également une politique de valorisation de ses minorités, elle crée à grands frais des enclaves économiques dans les pays pauvres, etc.

Passons à l'histoire.

En fait d'histoire, on croise différents personnage dont le parcours suit l'évolution de la situation économique mondiale.

Il y a une famille, bien sur richissime (la scène des préparatifs de Noël est édifiante). Dans cette famille, il y a la fille dévorée de culpabilité et s'investissant dans les mouvements écolo-humanitaires et il y a la mère bourgeoise, ex-mannequin international qui trompe son mari une fois par an sur les conseils de son psy.

On croise aussi le parrain de la fille, magnat du développement pétrolier, candidat au Nobel, un type brillant et roublard qu'on sent néanmoins étouffer dans la Norvège pétrolière moralisante, rêvant de baston, de conquête, d'un monde plus incisif, méchant et viril.

On croise un plongeur, ex-pionnier de l'exploitation ultra-offshore qui ne se remet pas des séquelles médicales de son job passé, et dont tout le monde essaye d'étouffer l'existence pour ne pas écorner l'image du pétrole propre et de la Norvège.

On croise un jeune représentant du fond éthique, véritable caricature de moraliste rigoureux mais qui n'en peut plus de son poste.

Tout ce petit monde est montré sur fond de lutte politique entre un parti souhaitant garder la ligne initiale d'investissement dans un fond pour les générations futures et une autre tendance réclamant de profiter plus de cet argent et de poursuivre l'exploitation de toutes les ressources, même les contestées.

Frioux excelle à nous brosser un portrait de cette étrange société-bulle. Quelques scènes m'ont marqué.

La description d'une prison quasi quatre étoiles où certaines personnes semblent aller de leur plein gré.

La construction d'un mur tout le long de la frontière nord du pays (sous le prétexte de la protéger d'une invasion de rats)

La délirante séance de brainstorming pour trouver le nom de baptême d'un nouveau champ pétrolier.

La cérémonie d'accueil des nouveaux stagiaires de la société des pétroles, choisis soigneusement selon des critères d'origine ethnique, religieuse et sociale.

Etc.

Au final, l'intrigue compte moins que l'ambiance dans Brut. Ce livre marque par le malaise qu'il provoque et semble souligner les effets délétères de ce qu'on appelle la malédiction des ressources naturelles et principalement du pétrole.

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