samedi 16 novembre 2013

L'industrie pornographique

Un soir d’insomnie je suis tombé sur un documentaire à la télé qui faisait le portrait, assez touchant, de l’actrice X Nina Roberts.

Cette fille expliquait sans fard sa vie, ses origines, ses problèmes, son rapport avec le X, comment elle y était arrivée et comment elle le vivait, et les livres que cette vie lui avait inspirés (ici une interview résumé).

Quelques temps auparavant j’avais vu un autre reportage intitulé Une vie classée X, réalisé par l’actrice Mireille Darc. Il consistait en une série d’interviews d’actrices pornographiques françaises plus ou moins célèbres et plus ou moins âgées.

Je me souviens notamment du témoignage très dur de Raffaela Anderson, auteur de l’autobiographique « Hard » et l’une des actrices du controversé Baise-moi, le film tiré du livre de Virginie Despentes.

Tout cela m’a amené à m'intéresser à ce genre très particulier qu’est l'industrie du cinéma pornographique, avec ses codes, la quantité phénoménale d’argent qu’il brasse, ses acteurs et surtout actrices, et les mondes troubles qu’il côtoie souvent.

Sur ce sujet, j’avais également vu dans les années 90 deux films assez marquants.

Le premier, Boogie nights, racontait la vie d'un hardeur inspirée de celle de John C. Holmes, star du porno au membre légendaire et à l’ascension aussi fulgurante que sa déchéance.

Le second, Déjà mort, faisait le portrait d’une jeune fille un peu nihiliste et décidée à faire carrière dans le X pour s'enrichir vite et sortir de son milieu.

Ces deux films dressaient un portrait plutôt dur de ce milieu et de ses coulisses.

Enfin, il y a quelques temps est sorti The Other Hollywood, un livre que je me suis empressé d'acheter.

Ce bouquin est une véritable bible pour qui s'intéresse au domaine.

Ses auteurs ont en effet réuni une somme colossale d'interviews d'hommes et de femmes travaillant ou ayant travaillé dans le X américain.

Cet ensemble de témoignages finit par dessiner une histoire du secteur depuis ses débuts jusqu'à ce qu'il est devenu aujourd'hui, c'est-à-dire un poids lourd présent à tous les niveaux de notre société.

Dans le post d'aujourd'hui, je vais m'inspirer d'un peu tout ça pour résumer l'histoire de ce genre pas comme les autres et de ceux qui l'ont fait.

Les débuts: l'aventure

Le porno existe depuis que le cinéma existe. Dès le début il y eut en effet des gens pour voir le potentiel qu'on pouvait tirer de ce nouveau media, qui remplaçait ou complétait les gravures et autres livres « qu'on lit d'une main, tandis que l'autre s'affaire ».

Dans les premiers temps, ce genre de cinéma fut l'affaire d'amateurs.

Appelés loops, les premiers films étaient des courts-métrages de mauvaise qualité (bien peu ont passé les années) tournés dans un format 35 millimètres tel que le Super 8 et projetés à la sauvette.

Les acteurs, payés en liquide et à la prestation, se recrutaient chez les hippies, les marginaux, les épicuriens poursuivant la révolution sexuelle, voire parfois, comme pour Harry Reems, parmi des acteurs de formation cherchant à se faire un peu d'argent facile en attendant une vraie carrière.

Dans ce petit milieu on trouvait aussi des gens douteux, maquereaux ou assimilés, qui faisaient tourner leurs protégées. Chuck Traynor, « protecteur » et amant des deux premières porno stars que furent Linda Lovelace et Marylin Chambers en est un bon exemple.

Très vite, devant le succès et la demande, le marché se structura. Le tournage, la diffusion et la distribution de ces films, illégaux, fut pris en main par le crime organisé, mafia en tête.

Très vite aussi, la police commença un jeu de cache-cache avec les pornographes.

La bascule: Deep Throat

1972 fut un tournant pour le cinéma porno. Cette année-là fut en effet tourné Deep Throat (en VF Gorge profonde), film historique qui est parfois considéré comme le plus rentable du monde: il coûta en effet 25.000 dollars pour en rapporter, selon les estimations, plus de 600.000.000.

Ce porno fut l'un des tout premiers à être tourné en grand format et sorti en salles, avec une certaine recherche technique et un scénario.

Il racontait, sur un ton humoristique, l'histoire d'une fille frigide qui, découvrant que son clitoris se situait au fond de sa gorge, se mettait à faire des « gorges profondes » pour connaitre enfin l'extase.

Pour qui est habitué aux codes du porno d'aujourd'hui, ce film est extrêmement étrange.

Il débute en effet par un générique long et « normal » où l'on voit l'héroïne, Linda Lovelace, rentrer chez elle en voiture tandis que les noms défilent.

Ensuite, les acteurs et actrices qui y jouent ressemblent à M. et Mme Tout le monde, avec des poils et des mensurations ordinaires et non revues au bistouri. De plus la bande son est soignée, et l'action se passe dans des décors classiques.

Le succès fut phénoménal et planétaire.

Ce n'est cependant pas grâce à ce succès que Deep Throat entra dans l'histoire, mais à cause du procès pour transport illégal de matériel obscène qui fut fait à l'acteur principal, Harry Reems.

En effet, ce procès prétexte se transforma vite en tribune politique où s'opposèrent violemment deux visions de la société américaine: traditionalistes judéo-chrétiens et moralisants contre progressistes partisans de l'émancipation individuelle, notamment par le sexe.

Et c'est ainsi qu'Harry Reems et les acteurs de ce film devinrent, à leur corps défendant, le symbole de la liberté et du progressisme.

Ils recueillirent des soutiens de la part de quantité de personnalités, notamment d'acteurs renommés tels Jack Nicholson, ainsi que des menaces et des malédictions de la part de la majorité morale.

Ce furent finalement les pro Deep Throat qui gagnèrent.

L'Age d'or

Commença alors ce qu'on a appelé l'âge d'or du porno. Dans la foulée du procès, on associa en effet le porno au progrès, à la révolution sexuelle et à la liberté, prédisant qu'il allait converger avec le cinéma traditionnel et qu'il participait à la révolution en cours.

Peu à peu légalisé dans la plupart des états et pays, devenu très à la mode, il suscita la création de nombreux longs métrages, dont certains sont aujourd'hui considérés comme des « classiques » (par exemple Devil in miss Jones ou Behind the green door) et furent tournés avec de vrais moyens et des prétentions artistiques, employant pour partie des acteurs de formation.

Les héros de Deep Throat furent surmédiatisés, les cinémas se remplirent de films érotiques plus ou moins hard.

Les premières « stars » du genre naquirent au public: après Linda Lovelace ou Marylin Chambers vinrent Ron Jeremy, John C. Holmes, etc. Ils touchaient énormément d'argent et leur profession semblait se normaliser.

Cette évolution déborda le strict milieu du sexe filmé. Dans cette décennie le sexe était en effet partout. Chaque mois amenait son actrice nue, les programmes télé, la publicité, les médias, tout était sur sexualisé.

Années 80 : la gueule de bois

La deuxième moitié des années 80 vit un brusque retour de bâton, qui fut la conjonction de plusieurs facteurs.

Tout d'abord, il y eut l'arrivée du SIDA. Fort logiquement, cette maladie incurable frappa tout particulièrement les acteurs X, dont le métier consistait précisément à avoir des relations sexuelles non protégées avec des partenaires multiples.

L'épidémie qui toucha le secteur fut amplifiée par la fréquence de l'usage des drogues dans ce milieu épicurien et à la recherche de la performance.

Ensuite l'arrivée de Ronald Reagan à la présidence des US coïncida avec un retour en force de la majorité morale. La parenthèse libertaire commença alors à se clore, la pornographie retrouva son odeur de soufre et retourna à son ghetto.

Enfin, le troisième facteur fut une avancée technologique majeure: la cassette vidéo.

Ce nouveau média permit tout d'abord d'élargir considérablement les circuits de diffusion du cinéma X (plus besoin de raser les murs pour aller dans un cinéma spécialisé ou dans un sex shop).

Mais la principale révolution tient à la réduction des coûts de tournage qu'elle entraina. Il était désormais bien plus simple de tourner directement pour la vidéo, de rentabiliser le matériel en remontant les mêmes scènes dans différents films, de s'affranchir des studios.

Les films se multiplièrent et forcément cette quantité se fit au détriment de la qualité. Je ne parle pas ici du contenu mais des conditions de tournage, des salaires, des moyens mis en œuvre, de la formation des cinéastes.

Le stakhanovisme cheap devint désormais la règle, au détriment des longs métrages de l'âge d'or, sans d'ailleurs que le public trouve vraiment à y redire (le porno étant quand même essentiellement un support masturbatoire).

C'est à ce moment que le cinéma porno commença à s'industrialiser, quittant son image de franc-tireur pour se transformer en la grosse machine que l'on connait aujourd'hui, avec un turn over de stars interchangeables à durée de vie courte, une rationalisation des médias, des événements mis en place (AV Awards, Hots d'or...).

Internet

Le dernier coup au modèle traditionnel fut porté par internet.

Le réseau des réseaux offre en effet des possibilités de diffusion quasi infinies: on n'a même plus besoin de sortir louer une cassette pour consommer, quelques clics suffisent.

Et c'est la même chose pour filmer. Les coûts sont désormais encore plus bas, d'autant que l'on peut délocaliser.

A cet égard, la fin de l'Europe communiste a représenté une formidable opportunité pour le porno, fournissant des centaines d'actrices qui se sont ruées sur le X pour fuir la misère, parfois « aidées » par des intermédiaires peu scrupuleux.

Plus récemment, l'Afrique commence également à arriver sur le marché, même si le sous-développement en infrastructures réduit les possibilités dans le domaine.

La nature du porno a également changé.

La sexualité présentée dans ces films ne l'est pas dans le cadre d'un scénario et ne se soucie guère de réalisme. A contrario, on a l'impression qu'en compensation il y a une surenchère dans les pratiques filmées: éjaculations faciales, double pénétration, fist fucking sont quasiment devenues la règle.

Au bout de cette évolution, il y a le style appelé gonzo qui représente désormais la majorité des tournages.

Cru, rejetant l'esthétique et les scénarios, basé sur une domination avilissante de la femme par l'homme, tourné à moindre coût, il est aux antipodes des longs métrages à l'image léchée des années 70 - 80.

On assiste par ailleurs à une segmentation du secteur par style. On dit que désormais que chaque sexualité a son porno, y compris les pratiques extrêmes, voire interdites.

Enfin, la chirurgie et la chimie (Viagra) transforment les acteurs en créatures irréelles de plus en plus loin de la réalité.

Carrières difficiles

La conséquence de tous ces changements est qu'aujourd'hui faire une carrière dans le porno est plus dur qu'avant.

Courte par essence (surtout pour les femmes) puisque l'argument numéro 1 est le corps, la vie professionnelle d'un acteur/d'une actrice porno requiert désormais d'accepter plus de choses.

D'après les professionnels d'un certain âge, refuser certaines scènes est en effet devenu plus difficile, à la fois du fait de la concurrence exacerbée, notamment en provenance de pays pauvres, pour des raisons financières et à cause des goûts du public qui auraient changé.

Un autre aspect qui persiste, c'est qu'il reste toujours très dur de sortir de ce milieu.

Paradoxalement en effet, alors que la consommation de X s'est démocratisée et qu'elle est de plus en plus assumée par les gens, un acteur ou surtout une actrice restera quand même stigmatisé, condamné moralement pour ce qu'il a fait.

Et toujours renvoyé à ce choix initial, il n'aura d'autre choix que d'y revenir encore et encore.

Dans le reportage de Mireille Darc l'actrice Estelle Desanges décrit le scénario type de la carrière du X en ces termes.

Une actrice au top s'en va la tête haute après avoir gagné beaucoup d'argent.

Après quelques temps, se rendant compte que la reconversion est toujours dure voire impossible, et le besoin d'argent se faisant sentir, elle tente un comeback. Mais étant moins connue, elle gagne moins et doit se contenter de rôles de moindre envergure.

Puis elle vieillit et pour vivre, elle finit par peu à peu accepter les tournages qu'elle refusait. On la retrouve dans des films de plus en plus glauques et sordides (urologie, etc.).

Une autre illustration est le cas d'Harry Reems, rendu célèbre par Deep Throat et qui n'arriva jamais à faire des films normaux après ça, et ce malgré sa formation d'acteur initiale.

Peu avant sa mort, il racontait que tous les soutiens célèbres qui avaient posé avec lui pendant le procès ne l'avaient jamais recontacté et qu'il avait perdu un rôle dans le film Grease à cause de sa carrière X.

Tentant plusieurs fois de quitter ce milieu, il expliquait avoir toujours du y revenir afin de gagner sa vie.

Après la gloire, il devint alcoolique, SDF et serait mort sans l'intervention d'une personne providentielle.

Très amer, il avait décidé de faire payer quiconque demanderait à lui parler de Deep Throat, pour lequel il n'avait touché que des sommes dérisoires.

Par ailleurs, le stigmate ex-acteur X est exacerbé grâce au net, dont la fantastique capacité à archiver et recycler rend accessibles à tout le monde les images tournées des années plus tôt et sur lesquelles on peut avoir souhaité tourner la page.

Ces dernières années ont ainsi vu remonter les preuves des débuts ou écarts insoupçonnés de quantité de personnes connues passées par la case porno ou érotique.

Dernier point, les acteurs X sont aujourd'hui bien plus exposés. Notre époque de connexion permanente et de paparazzi est aux antipodes des années 70, quand John Holmes pouvait cacher ses activités à sa femme.

Acteurs et actrices racontent aussi que les fans sont devenus bien plus envahissants.

Désormais bien loin de l'image du coincé solitaire vénérant les images de son actrice préférée du fond de sa chambre glauque, ils les interpellent sans gêne sur les salons, les traitant parfois avec un mépris agressif et irrespectueux.

En France

L'histoire du porno en France suit grosso modo la même chronologie, que l'on peut doubler avec un cinéma érotique rendu célèbre dans le monde entier par le film Emmanuelle, dont l'intrigue jouait sur l'image d'érotisme chic et sophistiqué de l'Hexagone (et qui fut diffusé plus de dix ans dans un cinéma des Champs Élysées !).

Le porno français connut lui aussi son âge d'or avec floraison de films dans les salles avant que le président Giscard d'Estaing ne siffle la fin de la récréation en créant en 1975 le classement X.

Jusqu'aux années 80 furent tournés des classiques à prétention plus ou moins artistiques, parfois par des cinéastes venus sur le tard ou passant ponctuellement dans le domaine (José Benazeraf, Max Pécas, Jean Rollin, Francis Leroi...).

Deux personnages émergent de ces années.

Marc Dorcel a fondé un empire du X made in France qui continue à marcher, revendiquant une certaine qualité.

Et il y a Brigitte Lahaie, ex-star du genre dans les années 80 et icône incontournable lorsqu'on parle du X français. Cette ancienne actrice est devenue un personnage médiatique à l'image plutôt sympathique.

Une interview de l'ex-hardeur Richard Allan (reconverti depuis dans le chocolat!) donne un aperçu intéressant du porno en France, de sa naissance et de son évolution.

Conclusion

Aujourd'hui le porno est omniprésent, parfois envahissant. Il est devenu un véritable phénomène de société, accessible pour de plus en plus de monde.

Les acteurs et actrices ont rejoint le monde des peoples et les plateaux de télévision, chaque film à succès, voire chaque faits divers (comme l'affaire DSK) a droit sa version X, etc.

Les jeunes grandissent et découvrent la sexualité avec le X et connaissent très tôt des choses que les générations précédentes n'imaginaient parfois même pas.

Certaines personnes accusent d'ailleurs ce genre d'être normatif (tel psychologue pour ados canadien dit que ses patientes l'interrogent sur comment faire une fellation, alors que la génération précédente voulait savoir comment embrasser!) et de projeter une image déformée des rapports amoureux, source de frustrations et d'incompréhension.

Personnellement, je suis surtout sceptique devant ce grand déballage, qui fait un peu trop souvent penser à un étal de boucherie.

Où est la surprise, le fantasme? Il me semble que c'est de la dissimulation et de l'interdit que viennent le désir, mais c'est peut-être une réflexion de quelqu'un de la génération du catalogue de la Redoute...

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