mardi 24 septembre 2013

Protestantisme français (1) : histoire des huguenots

Ce matin (enfin, un matin d'il y a quatre ou cinq ans: je mets beaucoup de temps à terminer mes posts), j'ai lu dans deux journaux différents le portrait de deux personnes très différentes.
 

La première était Lothar de Maizière, le seul premier ministre de la RDA qui ait été démocratiquement élu, et dont le mandat a consisté à gérer la réunification des deux Allemagne.
 

Le second était Eugène Terre'Blanche, leader de l'AWB, formation afrikaner radicale d'Afrique du sud, célèbre dans les années 90 pour son radicalisme pro-apartheid.

Ces deux personnes vivaient à des milliers de kilomètres l'une de l'autre, ne parlaient pas la même langue et ne s'étaient sans doute jamais rencontrées.


Pourtant elles avaient un point commun: toutes deux descendaient de huguenots français, exilés après la révocation de l’Édit de Nantes, et toutes deux avaient gardé patronyme français et mémoire de leurs ancêtres.


Ce constat m'a inspiré la série de post suivante, qui aura pour but de présenter l'histoire de cette communauté française, ce qu'il en reste aujourd'hui dans notre pays et dans le monde, et également de dresser un modeste aperçu du protestantisme hexagonal, actuellement en pleine mutation.

1. La naissance du protestantisme français


Le protestantisme est apparu au sein d'une chrétienté occidentale inquiète.

Une partie du clergé catholique donnait en effet un exemple bien loin du message des écritures: prêtres mal formés, doctrine mal définie, dignitaires corrompus et vénaux...le spectacle qu'offraient ces membres de l'église romaine était propice à l'interrogation des fidèles sincères et soucieux de leur salut.
 

Le sentiment qu'il fallait réformer l'église pour retourner à un christianisme plus moral, plus "pur" était donc dans l'air, comme il le fut à différentes époques, initiant régulièrement des mouvements aux fortunes diverses.

En effet, certains d'entre eux étaient intégrés au sein de l'église (comme les franciscains), d'autres combattus comme hérésie (comme les disciples de Pierre Valdo ou de Jan Hus).
 

La demande de réforme du XVIième siècle se concrétisa lorsqu'un moine allemand, Martin Luther, aurait placardé en 1517 "95 thèses" sur la porte du château de Wittenberg.
 

Ces thèses prenaient à parti l'église catholique, indiquaient ce qu'il considérait être ses erreurs et en dénonçaient les dérives, telles que le commerce des indulgences et l'invention du Purgatoire.
 

C'est cet événement qui est considéré comme le début de la Réforme, le deuxième grand schisme qui déchira la chrétienté et modifia profondément la carte de l'Europe.

Pour rappel le premier grand schisme eut lieu en 1054, lorsque les églises d'orient et d'occident se séparèrent officiellement, donnant naissance à un monde catholique à l'ouest et un monde orthodoxe à l'est.

Jean Cauvin, dit Calvin, fut le second réformateur le plus important. Né en France, ayant suivi des études religieuses, il alla beaucoup plus loin que Luther dans sa remise en cause de l’église catholique et de ses dogmes.


Je ne vais pas donner ici le détail des différences entre les doctrines, mais indiquer que la sienne, exposée dans l’ouvrage retentissant « l’institution de la religion chrétienne » connut un succès assez rapide, les élites de certaines régions de France adoptant ses idées et les conversions se multipliant.
 

Installé dans la ville libre de Genève, il en fit sa vitrine et y imposa ses vues d’une poigne de fer, tentant d'y créer la Jérusalem de sa nouvelle foi.

2. Les guerres de religion

Un tel succès ne pouvait laisser indifférentes les royautés catholiques européennes, dont la légitimité était liée à celle de Rome.

Et bien sur la fille aînée de l’église, comme on appelait la France, était au premier rang de ces pouvoirs inquiets.

Le salut des âmes se conjuguant aux intérêts politiques, on vit très vite s’y affronter trois partis.

D’un côté, les catholiques intransigeants, pour qui les protestants étaient voués aux flammes de l’enfer, la royauté catholique le seul horizon et dont le fer de lance deviendrait la Sainte Ligue.

De l’autre, les protestants, attachés à convertir le pays et ou/à prendre le pouvoir.


Enfin, le troisième parti était celui de ceux que l’on appelait les politiques, généralement des catholiques modérés qui espéraient un arrangement au profit du royaume.


Celui-ci allait en effet connaitre, dans une moindre mesure, ce qui allait détruire l’Allemagne pendant la guerre de Trente ans, c’est-à-dire l’ingérence des puissances étrangères dans le conflit.
 

D'un côté les ultra catholiques s’appuyaient sur une Espagne qui combattait elle-même l’hérésie sur ses terres (notamment aux Pays-Bas). De l'autre, les protestants tentaient de négocier une alliance avec l’Angleterre, une partition du pays étant même envisagée (le sud devant devenir un état protestant).

Pendant une décennie, les forces armées s’affrontèrent, ponctuant les combats d’horribles massacres.


Citons l’indépassable Saint-Barthélemy, véritable pogrome qui décima les élites protestantes venues assister au mariage d’Henri de Navarre avec Marguerite de Valois, ou, à une échelle plus modeste, la Michelade, un massacre de catholiques qui eut lieu à Nîmes.


3. De l'édit de Nantes à l'illégalité

Henri de Navarre, qui installa la dynastie des Bourbons à la tête de la France et mit en place les prémices de l’absolutisme, parvint à clore la période de guerre civile en publiant le célèbre édit de Nantes.

Celui-ci reconnaissait et acceptait l’existence de protestants dans le royaume.


Il leur garantissait le droit à leur religion, mais leur donnait une place inférieure, sorte de dhimma inter chrétienne, place qu'ils ne pouvaient garder qu'au prix d’interdictions et de vexations (comme l’obligation d’assister annuellement à une messe de conversion).
 

Par ailleurs, les possessions des protestants devaient rester celles qu’ils avaient à l’époque de la signature de l'édit, sans espoir d’expansion ultérieure.
 

Ce compromis boiteux ramena néanmoins la paix, paix garantie côté protestant par un réseau de places fortes et une puissance militaire encore respectable.

Le successeur d’Henri IV, Louis XIII, fit une première entorse à cet équilibre précaire en assiégeant et réduisant La Rochelle, principale ville protestante et en désarmant le parti protestant, qui se vit désormais à découvert.


Et ce fut le Roi Soleil, son successeur, qui mit fin à la cohabitation en déclarant la R.P.R. (Religion Prétendue Protestante) hors-la-loi par l'édit de Fontainebleau, et en envoyant ses dragons convertir de force les récalcitrants, qui leur devaient gîte et couvert jusqu’à signature de leur abjuration.
 

Cet épisode horrible, qui fut dénoncé par nombre de contemporains, étrangers mais aussi français et catholiques, s’accompagna d’exactions sans nombre.
 

4. Résistance et Désert

Apparurent alors les camisards, protestants cévenols qui formèrent des bandes armées résolues à combattre le roi et sa politique.

Fanatisés par leur foi, connaissant le terrain, ils réussirent à défaire plusieurs armées et à inquiéter le pouvoir, attaquant leurs ennemis en chantant des psaumes.
 

Peu reconnu en France, ce mouvement l'est bien plus dans le monde anglo-saxon, qui leur a consacré de nombreuses études et publications.

Le dernier leader camisard, le possédé Abraham Mazel, finit toutefois par périr et les camisards par être vaincus.


Commença alors la période la plus noire du protestantisme français, celle du « désert ».


Les protestants désignent ainsi le long siècle où il leur fallut pratiquer leur foi en se cachant, dissimulant leurs bibles (en posséder une était interdite, leur lecture étant réservée au seul clergé), se réunissant de nuit en forêt pour communier.


S’ils se faisaient prendre, la sanction était lourde : galère, séparation, enlèvement des enfants donnés à d’autres parents, enfermement…
 

5. L'émigration huguenote

Une partie d’entre eux choisit l’exil, vers ce qu’on appelait « le refuge », c’est-à-dire les pays où ils étaient tolérés ou bienvenus : Suisse, Hollande, états calvinistes d’Allemagne, Angleterre et ses colonies, Pays-Bas et ses colonies.
 

Cette émigration fut la plus importante que connut la France, à la fois par le nombre et par la qualité des gens qui émigrèrent.
 

En effet, il s’agissait souvent de gens cultivés, détenteurs d’un certain savoir que perdit alors la France, un peu comme l’Espagne lorsqu’elle expulsa ses juifs.
 

Et comme dans le cas de ces juifs, l'arrivée des huguenots et leur dynamisme eurent des conséquences bénéfiques pour les pays qui les accueillirent.
 

L’ex-président sud-africain Frédéric De Klerk (Leclerc), tout comme Eugène Terre’Blanche tiennent leurs noms de huguenots qui après avoir fui la France pour les Pays-Bas, allèrent s’installer dans la colonie du Cap, la future Afrique du sud.

La-bas, ils emportèrent leur foi intransigeante, mais aussi leur connaissance du vin. Aujourd'hui leur souvenir est inscrit dans la géographie (il y a une vallée des huguenots).

Plus près de nous, Berlin fut conçue par des huguenots exilés, et de Mézières fait partie de leurs nombreux descendants, tout comme le militaire Adolf Galland, qui œuvra dans la Luftwaffe pendant la Seconde Guerre mondiale.


Enfin, l’horlogerie suisse ne serait pas la même sans les nombreux artisans français qui s’y investirent.


6. La reconnaissance


Par l’Édit de Versailles, Louis XVI assouplit la législation anti protestante de manière significative, mais c’est la Révolution qui permit aux huguenots, comme aux Juifs, de devenir des Français à part entière et égaux avec les autres citoyens du pays.

Suite à ça, on assista à une sur représentation des protestants dans le monde politique français, presque toujours du côté républicain et à gauche, et à une normalisation de leur présence.


Le post suivant, Protestantisme français (2) : intégration à la nation, mémoire et état des lieux, décrira la situation actuelle du protestantisme en France, les dynamiques qui le traversent et ses positions.

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