lundi 12 août 2013

Musique(4): H.F.T.

Mon post d'aujourd'hui sera consacré à un artiste étrange qui a pas mal compté pour moi, au parcours hors normes mais que tout le monde ou presque a fini par connaitre : Hubert Félix Thiéfaine.
 
Je l'ai rencontré il y a plus de vingt ans, lorsque j'étais collégien et surtout lycéen.

J'ai bien sur tout d’abord entendu son hymne "La fille du coupeur de joint", chanson entrée dans la culture populaire au point qu'on ne sait pas forcément que c'est de lui, puis quelques titres délirants, avant d'écouter plus sérieusement toute sa discographie.

La caractéristique majeure qui m'avait frappé à l'époque, c'était son manque de visibilité. Impossible de savoir à quoi il ressemblait, pas de médiatisation, pas de télé, de journaux, alors même que beaucoup de gens l'écoutaient depuis longtemps.

Cet effet underground était augmenté par le règne de la cassette repiquée sur lequel je m’appuyais pour découvrir la musique, et qui limitait encore plus la possibilité d’avoir une idée "visuelle" du personnage.

Cette position singulière faisait qu'écouter Thiéfaine donnait l’impression de se retrouver entre initiés, entre puristes, entre "pas commercial", puisque à l'adolescence il est important de consommer authentique, qu'on recherche la radicalité, la non compromission.
 
Plus tard, j'ai énormément écouté ses six premiers albums, un peu les suivants, avant de décrocher à partir de "Fragments d'hébétude" (1993).

Avais-je changé, ou bien était-ce lui qui finissait par s'auto-caricaturer comme tant d'autres artistes à partir d'un moment de leur carrière? Sans doute un peu des deux.
 
Me reste la première moitié de son œuvre et une certaine fascination, qui se mua en déception lorsque je l'entendis en interview (plus que jamais je crois qu'il faut dissocier la personne et l'œuvre, et ne pas attendre qu'un artiste soit aussi génial quand il parle) et quand, quelques années plus tard, je le vis en concert.

A l'heure du net, j'ai pu évidemment en apprendre plus sur qui était vraiment Thiéfaine.

Né dans une famille de six enfants en Franche-Comté (à Dole, dans le Jura) région dont il garde quelque chose dans la diction, il connut le pensionnat chez les Jésuites (ce qui explique peut-être une partie de ses thématiques) avant de partir à Paris.

Un étonnement majeur fut de découvrir qu'il était de 1948, donc beaucoup plus vieux que je ne l'imaginais. Son premier album est paru en 1978, alors qu'il avait déjà trente ans.

Comme influence majeure, il revendique Léo Ferré, que je connais trop peu pour pouvoir dire si cette influence se sent ou non dans sa musique.

Les trois premiers albums de Thiéfaine, "Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s'émouvoir" (1978), "Autorisation de délirer" (1979) et "De l'amour, de l'art ou du cochon" (1980) sentent très fort les années 70.

Libertaires, ils ont un côté gaudriole très prononcé, très paillard, très "grosse farce", limite film des Charlots ou Paul Préboist. Le côté gaulois s'estompera par la suite, mais reste quand même une marque de fabrique de Thiéfaine.
 
Ils sont par contre musicalement très aboutis. On n'a pas le côté "premier album" qu'on trouve chez tant d'autres artistes de l'époque, certainement parce que Thiéfaine et ses musiciens avaient déjà une grande expérience derrière eux lorsqu'ils les ont enregistrés (une dizaine d'années avant de presser leur première galette).

Le deuxième aspect du style de Thiéfaine est un pessimisme violent, un anarchisme tirant sur la misanthropie, dénonçant l'absurde et l'inhumain, mais sans proposer d'alternative, un peu nihiliste. La religion, catholique en tête, en prend pour son grade.

Ce côté-là prendra le pas pour les albums "Dernières balises (avant mutation)" (1981), "Soleil cherche  futur" (1982) et "Alambic / Sortie sud" (1984). Très sombres, plus rock, aux thématiques de la zone, de la drogue et de la déchéance, ils constituent trois autres pièces maitresses.
 
Il est à noter que derrière Thiéfaine se cachent un certain nombre de musiciens fidèles, dont Tony Carbonare et Claude Mairet, qui co signera Alambic / Sortie Sud avant d'arrêter sa collaboration. J'ai trouvé que ça transparaissait, et j'aime moins ce qui a suivi.
 
On sent en effet un changement. Est-ce le vieillissement, la paternité, l'adieu à la capitale? Toujours est-il qu'on a l'impression que quelque chose se tarit.

Il continue à produire des albums de bonne facture, à avoir des idées étonnantes, mais je trouve que quelque chose n'y est plus, et qu'il y a une tendance à converger vers la variété rock à la française (genre que je ne méprise pas mais dont au départ il se distinguait).
 
En parallèle, on commence à le voir à la télé, en interview, les radios et les émissions musicales passent certains de ses titres, plus fréquentables il est vrai que ce qu'il écrivait avant (plus de discours de Jean-Paul II en fond de titre sur un bordel !).
 
Ce parcours est classique et se retrouve chez beaucoup d'artistes. On ne peut rester dans la révolte brute perpétuelle, et l'inspiration change, quand elle ne se tarit pas (regardez Renaud ou Cabrel).
 
Thiéfaine le reconnait d'ailleurs à demi-mot, disant qu'il aurait aimé tout comme Brel s'arrêter au sommet, mais qu'il a besoin de manger et de payer ses impôts...
 
Il reste qu'il a conservé sa marque de fabrique, son style qui est d'abord une écriture. Son utilisation de la langue française est en effet très spécifique.

Il emploie beaucoup d'images, associe des mots improbables, crée des néologismes et des anglicismes en tout genre, fait des rimes étonnantes, quelque part entre Gainsbourg, Boris Bergman, Noir Désir et Boby Lapointe...


Il utilise également de nombreuses références bibliques (Caïn et Abel, Loth...) ou à la culture antique (Diogène, Orphée...).

Une bonne partie de ses textes sont par ailleurs complètement barrés, comme s'ils étaient écrits dans un état second, bourré ou complètement défoncé (il semble d’ailleurs que ce soit parfois le cas !).
 
Et étonnamment, son public, s'il  est composé de beaucoup de fidèles, se renouvelle également d'année en année.
 
Je crois que c'est parce que même à 65 ans, même après la consécration (notamment la compilation hommage "Les fils du coupeur de joints" où des artistes plus jeunes reprennent ses titres) la musique de Thiefaine incarne d'une certaine manière l'esprit adolescent: l'immaturité revendiquée, la transgression, l'absolu, la rébellion, l'absence de compromis...

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