jeudi 30 mai 2013

Livres (1): Lebrac, trois mois de prison

Le livre dont je vais faire ici la chronique n'est pas vraiment un roman, mais plutôt un de ces exercices de style qui font réfléchir.

Écrit par Bertrand Rothé et intitulé Lebrac, trois mois de prison, il reprend l'intrigue et les personnages du fameux roman La guerre des boutons de Louis Pergaud, en en transposant l'action aujourd'hui.

C'est-à-dire que Longeverne et Velrans, au lieu d'être deux villages, deviennent deux cités populaires urbaines, également opposées à mort pour des raisons ancestrales et mal connues.

Et là où ça devient intéressant, c'est que Rothé imagine le traitement que feraient aujourd'hui nos institutions suite aux actions violentes de ces gamins.

C'est ainsi que Lebrac et quelques-uns de ses "hommes" vont connaitre commissariat, psy, éducateurs et juge pour enfant, le chef de la bande finissant par devoir faire trois mois de prison.

Pour tous ceux qui ont ri en lisant les aventures de ces sympathiques petits sauvages, la première réaction est bien évidemment un choc.

Et puis on réfléchit.

Ces enfants se tapaient jusqu'au sang, se lançaient des pierres, s'infligeaient des sévices humiliants (fesses fouettées au sang, menaces de torture pour le "traitre") détruisaient la propriété d'autrui en lacérant leurs vêtements, commettaient une effraction au domicile de leur garde-chasse, etc.

Finalement, qui ne s'inquièterait pas de tels agissements de la part de ses enfants?

La réponse des parents, une bonne raclée, paraitrait même également dépassée pour une bonne partie d'entre nous. Et le fait de laisser les gamins vaquer sans surveillance nous semble la pire inconscience.

Bref, nous comprenons. Et par là, Bertrand Rothé nous fait penser aux changements de notre société.

D'abord il pose la question de la violence en milieu populaire. La guerre des boutons est un exemple du fait qu'elle ne date pas d'hier. Les protagonistes de cette histoire sont violents, machos, et adorent en découdre.

Les "racailles" d'aujourd'hui, même si elles sont urbaines et plus souvent d'une autre couleur, ne sont pas si différentes. Si l'on réfléchit, les histoires de guerres entre quartiers qui défraient régulièrement la chronique ne sont pas si éloignées des bagarres sauvages entre Longeverne et Velrans.

De même, discuter avec nos parents ou lire la presse des Trente Glorieuses laisse entendre qu'à l'époque aussi ça "bastonnait". Les fameux "Blousons noirs" ont fait peur à beaucoup de monde dans les années 60.

Je me souviens aussi des discussions entendues lors de mon service militaire, effectué avec des jeunes sans diplômes issus de milieu rural, où les récits de castagne dans les boîtes de nuit campagnardes revenaient aussi souvent que les histoires de filles ou d'alcool.

Et les règlements de compte au manche de pioche à la sortie des bals n'avaient rien à envier non plus à des bagarres plus médiatisées.

Bref, la violence des jeunes, singulièrement des jeunes issus de milieux populaires, n'a rien de nouveau. Cela va à l'encontre de bien des discours, mais je pense que sur ce plan-là, c'est toujours la même eau qui coule.

Ce qui est différent, et c'est ce que le livre montre subtilement, c'est la réaction de la société par rapport à cette violence juvénile.

Du temps de Lebrac, cette société était bien plus structurée. Les familles étaient plus présentes, au sens physique du terme, les enfants grandissant en foyer monoparental étaient une rareté, et la mobilité géographique n'était pas la règle.

De plus tout le monde était peu ou prou de la même origine et de la même religion (ce point n'est pas dans le livre, mais je crois qu'il avait son rôle).

Ainsi était en place une espèce de tissu communautaire où tout le monde surveillait tout le monde, où l'on était vraiment de quelque part et où chacun se sentait concerné par l'autre.

Ce premier "niveau" filtrait les éventuels dérapages des gamins: on réglait ça entre soi, "en famille" pour ainsi dire.

Le deuxième point était le travail. Il y en avait alors pour tous, et du travail physique, du travail qui sollicitait le corps, du travail communautaire, du travail où une société "virile" donnait aux jeunes à la dérive une structure, une possibilité d'investir leur énergie, de trouver une fierté.

Le père dont le fils "déconnait" le faisait entrer à l'usine pour lui apprendre la vie et le recadrer.

C'est la fin que Rothé imagine pour Lebrac, qui, devenu cuisinier (et amoureux) après avoir purgé sa peine, se détache naturellement et sans s'en rendre compte du jeu de la rivalité entre cités pour vivre sa vie.

Inutile de rappeler que ce rapport au travail et son rôle ont bien disparu à l'heure du chômage de masse, de la précarité professionnelle et de la technicité accrue de tous les métiers.

La famille, le travail, deux niveaux de régulation qui ne sont plus là pour tenir les éléments turbulents des classes populaires, laissant le jeune seul face à un État lointain et froid, et à une opinion publique effrayée et de plus en plus demandeuse de sanctions.

Ce livre, très bien documenté (les procédures judiciaires sont exactement celles qui ont cours) nous explique cela, et d'autres choses encore, détaillées dans une post face très bien vue.

A lire, pour réfléchir...

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