mercredi 8 août 2012

Les noms propres devenus communs

Une langue vivante est en mouvement perpétuel.

Selon les événements, les influences, le voisinage, etc, des mots nouveaux apparaissent, en remplacent d'anciens, sont transformés, changent de registre, etc.

Ce bouillonnement et cette réinvention constante sont précisément le signe qu'une langue est vivante, et tous ceux qui ont voulu le contrôler s'y sont cassé les dents.

Dans le présent post, je vais m'attarder sur les noms propres qui ont changé de côté, devenant des noms communs, générant des verbes, de nouveaux noms.

Les noms "source" peuvent être des noms de lieux ou de personne, et j'ai listé quelques exemples de ces mots ayant changé de registre.

Marques ayant donné des noms communs

Le premier groupe que je vais évoquer est constitué des marques qui ont popularisé un objet et sont devenues si incontournables qu'elle ont généré le mot décrivant l'objet en question.

En français, il y a le frigidaire, abrégé en frigo, qui est synonyme de réfrigérateur. A l'origine, Frigidaire est une marque d'appareils électroménagers, qui proposait entre autres des réfrigérateurs.

De même, la mobylette, devenue synonyme de cyclomoteur, était l'un des modèles de cyclomoteur proposés par feu Motobécane.

Enfin la jeep, qui désigne un véhicule tout terrain vient de la marque américaine du même nom.

Toutes les langues ont des exemples de ce processus de glissement vers le nom commun (qu'on appelle, semble-t-il, antonomase).

En anglais, le verbe to hoover signifie passer l'aspirateur et vient d'un modèle populaire de l'appareil du même nom.

En roumain, une xerox est une photocopieuse et des adidas sont des chaussures de sport, quelle que soit la marque de ces objets.

Personnes dont le nom est passé dans les noms communs

Le deuxième groupe de mots auquel je me suis intéressé est celui des mots issus du nom de la personne qui a popularisé, parfois à son corps défendant, l'objet ou le concept.

Les britanniques ont légué au monde les mots boycott et sandwich, tous deux liés à des personnages historiques.

Le premier vient d'un intendant anglais en Irlande, Charles Cunningham Boycott, qui traitait si mal ses fermiers que ceux-ci décidèrent de faire le vide autour de lui et de ne pas collaborer, de le boycotter donc. Son nom passa à la postérité à cette occasion.

Quant au second, John Montagu, 4e comte de Sandwich, la légende dit qu'il aurait adopté et popularisé le plat du même nom pour pouvoir manger en s'adonnant à sa passion dévorante pour le jeu. L'histoire n'est pas avérée, mais le succès du sandwich si.

La langue anglaise a également recyclé l'allemand Franz-Anton Mesmer, théoricien du magnétisme animal, en créant le verbe "to mesmerize", synonyme d'hypnotiser.

En France, le mot poubelle vient de l'initiative du préfet de la Seine Eugène-René Poubelle, qui obligea ses administrés à stocker leurs ordures dans des boites fermées pour lutter contre leur étalement dans les rues. La "boîte Poubelle" perdit rapidement son "boite" et changea par la même occasion de côté du dictionnaire.

De l'oeuvre torturée de l'écrivain pragois Franz Kafka est également sorti l'adjectif kafkaïen, désignant quelque chose d'aussi absurde qu'inextricable et complexe.

Plus près de nous, le mot poujadisme est devenu un synonyme de populisme, et qualifier quelqu'un de poujadiste revient à le traiter de démago, de populiste réactionnaire.

A l'origine il y a Pierre Poujade, un papetier du Lot qui créa dans les années 50 l'UDCA, mouvement de révolte antiparlementaire, antifiscal et de défense du petit commerce alors en pleine crise.

Fort en gueule, adepte des actions musclées, Poujade connut un succès aussi spectaculaire qu'éphémère puisque son mouvement disparut rapidement.

Sa postérité est par contre assurée puisqu'il a donné un nom commun (ce dont d'ailleurs bien peu d'hommes politiques peuvent s'enorgueillir !).

Il arrive aussi que des personnages de fiction finissent par engendrer un nom commun.

Par exemple, Paparazzo était un photographe dans le célèbre film de Fellini "La dolce vita", avant de désigner un avatar dévoyé de cette profession.

Il y a encore le cas de Jacques Prévert, dont le gout pour le surréalisme et les jeux de mots donna l'expression "inventaire à la Prévert".

Noms de personnes passés dans la géographie

Nombre de lieux ont ou ont eu un nom lié à une personne, essentiellement dans les pays issus de la colonisation européenne.

Le plus célèbre est bien sur l'Amérique, nom attribué au continent à partir de celui du florentin Amérigo Vespucci, qui aurait le premier émis l'hypothèse que ce n'était pas les Indes, mais un nouveau continent qui avait été découvert.

Sur ce continent, on peut aussi citer la Colombie, qui porte le nom du découvreur officiel de l'Amérique, Christophe Colomb.

Ce nom a tout d'abord été attribué, pendant les guerres d'indépendance de l'Amérique espagnole, à un vaste territoire regroupant l'actuelle Colombie, l'équateur et le Venezuela, avant de se réduire à la seule Colombie actuelle.

Il y a également la Pennsylvanie, un des états fondateurs des USA, qui a pris le nom du quaker William Penn.

En Afrique, on peut noter que Zambie et Zimbabwe s'appelaient avant l'indépendance Rhodésie du nord et du sud.

Ce nom de Rhodésie dérive de celui de Cecil Rhodes, puissant homme d'affaires et politique anglais, fondateur de la légendaire compagnie diamantaire De Beers et personnage très impliqué dans l'expansion coloniale britannique. Rien d'étonnant à ce que les pays émancipés aient désiré changer leur nom.

Plus au nord du continent, il y a l'Arabie Saoudite, qui a pris le nom de la famille qui la dirige, les Ibn Séoud.

A l'époque coloniale, beaucoup de villes furent baptisées des noms de découvreurs ou souverains des pays européens.

La plupart, telles Lourenço Marques (l'actuelle Maputo au Mozambique) Elisabethville (l'actuelle Lubumbashi dans l'ex-Congo belge) ou Orléansville (l'actuelle Chlef en Algérie) furent rebaptisées après l'indépendance.

Ce ne fut pas le cas de Brazzaville, dont le nom vient de l'aventurier italo-français Pierre Savorgnan de Brazza, colonisateur qu'on décrit comme idéaliste et respectueux (ceci expliquant peut-être cela), et qui sert souvent à distinguer le pays de son voisin la R.D.C. On parle alors de Congo-Brazzaville.

D'ailleurs, ce pays a même récemment rapatrié la dépouille de l'aventurier (précédemment en Algérie) pour lui construire un mausolée (décision contestée). Savorgnan de Brazza fut aussi le fondateur de Franceville, au Gabon, le nom étant fort simplement inspiré par son pays.

De même, certaines villes ou lieux ont pu être rebaptisés volontairement par un nouveau régime en l'honneur d'un membre fondateur: Stalingrad (ex-Volgograd), Leningrad (ex-Saint-Pétersbourg) en URSS, Ho Chi Minh ville (ex-Saïgon) au Vietnam ou encore le mont Herzl en Israël.

Par ailleurs, beaucoup de régions, de villes, voire de pays ont simplement été baptisés en se basant sur un nom déjà existant.

On pense à la Nouvelle-Zélande (qui connait l'ancienne?), la Nouvelle-Calédonie, le Nouveau Brunswick (Canada), le Nouveau Mexique, New York, New Orléans...

Parfois le nom initial est transformé: le Vénézuela est la petite Venise, les Malouines tiennent ce nom des pêcheurs de Saint-Malo, etc.

Enfin, beaucoup d'îles ou d'archipels ont pris le nom de leurs découvreurs: îles Crozet ou Kerguelen, archipel des Mascareignes (du portugais Pedro de Mascarenhas), île canadienne du Prince Edward, île britannique Tristan da Cunha...

Un cas plus récent (et plus étonnant) est la banlieue de Paris Levallois-Perret, qui est issue de la partition de Clichy et dont le nom est tout simplement la jonction des deux personnes qui l'ont fondée en 1822, à savoir Nicolas Eugène Levallois et Jean-Jacques Perret !

Autre cas curieux, le village de Transylvanie "Général Berthelot", baptisé ainsi par la Roumanie en signe de reconnaissance pour un militaire envoyé par la France pour réorganiser l'armée roumaine en 1916. Cet homme avait ensuite gardé des liens avec la Roumanie, où le gouvernement lui avait donné une propriété.

En France, nous avons aussi Décazeville, bourgade qui prit le nom de celui qui transforma au XIXième siècle un petit village aveyronnais en un important centre sidérurgique: le duc Decazes.

Noms de lieu ayant généré des noms communs

C'est par la catégorie des noms communs issus de noms de lieu que j'achèverai mon inventaire -justement!- à la Prévert.

Le cas le plus évident est le lieu de la découverte utilisé pour désigner son objet. Exemple: la montmorillonite, minerai utilisé dans l'industrie pour son imperméabilité et dont le nom vient de la petite ville de Montmorillon où il se trouve en abondance.

Plus intéressants me semblent les mots issus du nom d'un lieu associé à un événement particulier.

Le verbe limoger, qui signifie révoquer, destituer tire son nom de la ville de Limoges.

Ce nom s'est imposé suite à un épisode de la Première Guerre Mondiale, quand le Maréchal Joffre avait assigné à résidence dans la ville de Limoges des officiers dont on considérait qu'ils avaient démérité. Une fois de plus, l'épisode est contesté, mais le mot est resté.

Le mot finlandisation désigne une très forte influence, à la limite de l'ingérence, exercée par un état puissant sur un autre qui l'est beaucoup moins. Ce dernier se retrouve "finlandisé".

Ce mot fait référence au lien de quasi-vassalité qui fut imposé par l'URSS à la Finlande durant toute la guerre froide, Moscou intervenant plus qu'à son tour dans le gouvernement de son voisin scandinave.

Le mot baléarisation, enfin, est synonyme de développement touristique anarchique sous la forme d'un bétonnage sauvage et d'une exploitation sans limite d'un territoire touristique. Il fait référence à ce qu'a connu l'archipel des Baléares dans les années soixante.

Je terminerai ma liste par un autre cas, celui de l'Arlésienne, titre d'une œuvre d'Alphonse Daudet qui a finit par entrer dans le langage commun puisqu'on dit "c'est l'Arlésienne" pour parler d'une chose dont on parle sans jamais l'avoir vue.

A travers ces quelques exemples (il y en a beaucoup d'autres) j'ai voulu montrer un des mouvements naturels et passionnants qui affectent une langue vivante.

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