lundi 6 août 2012

Violence, culture et politique (2): Les "Poilus"

Avec la dépouille de Lazare Ponticelli, mort le 12 mars 2008, s’en est allé le dernier représentant d’un groupe longtemps constitutif du paysage français : l’ancien combattant.

Les jeunes générations ont du mal à s'imaginer à quel point le "poilu" était une figure de la société, constituait un groupe important, visible, parfois même une sorte de lobby, et ce jusqu'à ce que le temps fasse baisser inexorablement leur nombre et leur vigueur.

Dans les années 70-80, lorsque j'étais enfant, je me souviens de la mémoire de cette guerre atroce qu'avaient mes grands-parents et parents, notamment sur les conditions de vie dans les tranchées. Même si on ne s'étendait pas sur le sujet, c'était quelque chose qui avait profondément marqué leurs propres parents.

Je me souviens aussi des polémiques, notamment sur les "gueuletons" des poilus payés par le contribuable, du sketch de Coluche qui les moquait de façon grinçante, ou encore des excuses que Daniel Balavoine avait du faire suite aux protestations engendrées par une remarque acerbe sur les anciens combattants.

A cette époque, le phénomène était pourtant déjà quelque chose d'anecdotique, presque de folklorique.

Ça n'avait pas toujours été le cas.

En effet, le traumatisme de la Grande Guerre, l'expérience si particulière des tranchées, la déconnexion d'avec l'arrière avaient été si marquants qu'une partie importante des survivants s'étaient organisés après l'armistice en groupes, prolongeant la solidarité et l'expérience militaire, entretenant le souvenir.

Une partie de ces groupes, imprégnés de violence et pleins de détestation pour les régimes en place, allait donner le jour à des mouvements politiques plus ou moins radicaux et belliqueux.

En France ce sera les ligues, dont une partie tentera de renverser le gouvernement le 6 février 1934 (ironiquement, celle qui est toujours citée car la plus importante et emblématique, les croix-de-feu du Colonel de La Rocque, n'y participera pas).

En Italie et en Allemagne, le fascisme et le nazisme s'appuieront largement sur les anciens de la première guerre mondiale pour parvenir au pouvoir et écraser leurs opposants.

Quel que soit le pays, la génération des tranchées constituera en tout cas un groupe visible, respecté et/ou craint, vigilant sur l'honneur militaire, le souvenir, le patriotisme, etc. Les sociétés européennes en seront profondément marquées. C'est cet aspect-là qui disparait de la scène française avec le dernier poilu.

Aujourd'hui, tout cela rejoint peu à peu les guerres napoléoniennes ou celles de Louis XIV dans le fourre-tout de l'histoire avec un grand "H", la formule "der des der" ferait presque sourire (ironiquement) et les générations actuelles ne mesurent pas (et c'est normal) la chance extraordinaire de ne plus avoir d'anciens combattants, preuve d'une longue et inédite période de paix sur le continent.

Bien sur, les compagnons de la Libération et les résistants ont constitué un groupe un peu similaire, mais à une échelle bien plus petite et bien moins ancrée dans le paysage, et puis c'était une guerre différente, idéologique, de mouvement, et où les masses étaient moins importantes que la technologie.

Quant aux anciens combattants des guerres coloniales, la société les a refoulés et cachés, stigmates honteux d'une histoire qu'on voudrait oublier.

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