jeudi 16 décembre 2010

France-Algérie, une longue histoire (2): Etat des lieux

Imaginons un étranger, quelqu'un qui débarquerait en France et voudrait étudier les relations franco-algériennes. Que noterait-il ?

Il serait d’abord impressionné par le nombre de personnes qui vivent en France et ont un lien personnel avec l’Algérie. Parmi ces personnes, on peut distinguer au moins quatre groupes.

Le premier groupe ce sont bien sur les immigrés algériens, première minorité étrangère en France, avec leurs enfants, petits-enfants et même arrière-petits-enfants, les premiers migrants étant venus en métropole dès les débuts de l’Algérie française.

Le deuxième groupe ce sont les Pieds-Noirs, descendants des colons européens installés en Algérie et expulsés à l’indépendance, avec leurs enfants et petits-enfants. Cette importante communauté est en voie d’assimilation mais garde une identité bien marquée.

Le troisième groupe est constitué par les juifs d’Algérie, Algériens de religion juive présents en Algérie avant la conquête française mais peu à peu assimilés aux Pieds-Noirs et à ce titre expulsés avec eux.

Enfin le dernier groupe rassemble tous ceux qui ont fait « un bout de chemin » avec l’Algérie, fonctionnaires, soldats, qu'ils soient de carrière ou appelés, coopérants, entrepreneurs, diplomates... Qu'ils soient allés en Algérie avant ou après l'indépendance, leur nombre est également très important.

En creusant un peu, notre étranger découvrirait aussi tous les accords bilatéraux qui font des relations entre les deux pays quelque chose de singulier, de particulier.

Il apprendrait par exemple que le recteur de la mosquée de Paris, capitale d'un état se voulant laïc, est désigné par l’Algérie. Ou bien il verrait que les ressortissants algériens ne suivent pas le droit commun des étrangers, mais qu'il existe pour eux des documents et procédures spécifiques.

Il serait surpris d'apprendre que l’Algérie, longtemps deuxième pays francophone au monde en nombre de locuteurs (après la France) n’est pas membre de l’Organisation Internationale de la Francophonie (alors qu’on y trouve des pays où le Français est anecdotique, comme l’Éthiopie ou l’Albanie).

Il s’étonnerait également de la grande discrétion des manifestations de la culture algérienne dans ce pays, surtout s'il les compare à celles des autres peuples arabes et/ou maghrébins.

Ainsi, il chercherait en vain les restaurants algériens parmi tous ceux tenus par des Libanais, Marocains, Tunisiens ou Égyptiens. Il ne trouverait pas non plus pour l'Algérie l'équivalent des centaines de tour opérateurs existant pour la Tunisie, le Maroc ou l’Égypte.

Il s’effraierait sans doute de la violence nationaliste que peuvent manifester les algériens de France: drapeaux français remplacés par des drapeaux algériens à Toulouse et Villeneuve-Saint-Georges, invasion des pelouses du stade de France pendant un match « amical » France Algérie, etc.

Il noterait enfin la passion qui se manifeste dans ce pays dès que l'on parle de l’ère coloniale et de la guerre d’Algérie, il serait impressionné par les guerres de mémoire entre les communautés pied-noire, immigrée et harkie, les querelles sur les films traitant du sujet, les monuments, les livres, etc.

Il en viendrait à la conclusion d’un lien très ancien entre la France et l’Algérie, de l’existence de profondes blessures mal fermées et de la nécessité d’un travail historique pour y voir plus clair.

Pour tenter de trouver les racines de ce lien, je vais reprendre succinctement l’histoire de l’Algérie et le rôle de la France dans cette histoire. 

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Héritages de l'hexagone (3): Hymnes et devises

L’héritage français dont je vais parler aujourd’hui aura trait aux hymnes nationaux et aux devises de pays. En effet, l’influence de la France s’est faite sentir dans les choix de plusieurs de ces symboles nationaux.
 

Tout d’abord il faut savoir que notre devise « Liberté, Egalité, Fraternité » est partagée avec plusieurs pays.

D’origine ancienne, elle fut utilisée pour la France pendant la Révolution de 1789 mais ne devint effective et unique qu’à partir de la Troisième République.
 

Elle a été également adoptée par Haïti, dont les dirigeants se sont réclamés des idéaux de la Révolution dès qu'ils eurent arraché leur indépendance à la France.
 

De même, elle été celle du Venezuela (il me semble qu’ils l’ont changée depuis) dans une période où ses gouvernants étaient francophiles.
 

Dans un autre ordre d'idée, la devise de l'ordre britannique de la Jarretière, qui est également celle du souverain anglais, est toujours « Honni soit qui mal y pense », trace de l'époque où le français était langue officielle de l'Angleterre.

Et il est toujours surprenant pour nous français qui considérons l'anglais comme l'ennemi de voir cette devise dans notre langue s'afficher sur les trains, les édifices, les livres de la perfide Albion.


Concernant les hymnes nationaux, la France est citée directement ou indirectement dans plusieurs d’entre eux, toujours en référence à des événements historiques.


Ainsi, un couplet de l’hymne national polonais, « Mazurek Dąbrowskiego » (La mazurka de Dąbrowski), fait référence à Bonaparte.


« Nous traverserons la Vistule et la Warta,

Nous serons Polonais.
Bonaparte nous a donné l'exemple,
Comment nous devons vaincre. »
 

Cette référence s'explique ainsi: à l’époque des guerres napoléoniennes, la Pologne n’existait plus. Après trois guerres, le pays avait été conquis et partagé entre la Russie, l’Allemagne et l’Autriche.
 

Or l'empereur des Français, dans sa marche vers l’est, recréa un éphémère « Grand duché de Varsovie », et du coup s’attira la gratitude des polonais. C'est cet épisode qui est rappelé dans la mazurka de Dąbrowski.
 

L’hymne algérien, « Kassaman » (Nous jurons), cite lui aussi nommément la France dans un couplet.
 

« Ô France ! Le temps des palabres est révolu,
Nous l'avons clos comme on ferme un livre,
Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes,
Prépare-toi ! Voici notre réponse,
Le verdict, Notre Révolution le rendra,
Car Nous avons décidé que l'Algérie vivra,
Soyez–en témoins! Soyez–en témoins! Soyez–en témoins! »
 

Cet hymne belliqueux fait bien évidemment référence à la longue lutte de l’Algérie pour se libérer de la tutelle coloniale.
 

Enfin, dans l’hymne allemand, « Deutschlandlied » (Chant d’Allemagne), il n’est pas fait directement référence à la France, mais à l’une de ses rivières, la Meuse.

« Allemagne, Allemagne avant tout,
Au-dessus de tout dans le monde,
Quand constamment pour sa protection et sa défense,
Fraternellement elle est unie.
De la Meuse jusqu'à Memel,
De l'Adige jusqu'au Belt,
Allemagne, Allemagne avant tout,
Avant tout dans le monde ! » .


La Meuse était en effet vue comme frontière naturelle par les partisans d’une Allemagne qui couvrirait tous les territoires contenant des peuples germaniques (pour la France, la frontière naturelle était le Rhin).
 

Les hymnes allemand et algérien font référence à des conflits entre leurs pays et la France, mais la perception et la vision qu’en ont les habitants du pays est différente.
 

En effet, si l’Allemagne a retiré de son hymne le couplet polémique (qui l’est d’ailleurs également pour d’autres pays, Memel étant notamment aujourd’hui la ville lituanienne de Klaipeda), la proposition de supprimer l’interpellation de la France de Kassaman a entraîné en Algérie un tollé monstrueux.
 

C’est un constat intéressant, car il donne une idée assez exacte des plaies non refermées que nous partageons avec notre voisin du sud, tandis que celles que l'on a pu avoir avec l'Allemagne semblent cicatrisées.
 

Je terminerais par « la Marseillaise » elle-même, notre hymne national, qui fut aussi celui de l’URSS aux débuts de la Révolution d’octobre, avant d’être remplacé jusqu’à la seconde guerre mondiale par « L’internationale », chanson co-écrite...par un français!


mercredi 15 décembre 2010

France-Algérie, une longue histoire (1): Introduction

Il m’arrive assez régulièrement de lire les articles du Bondy Blog. Ce blog a été créé par des journalistes suisses suite aux émeutes qui ont embrasé la France en 2005 et il se veut un porte-parole des habitants de la banlieue d’aujourd’hui.

Plusieurs personnes y écrivent, toutes jeunes et banlieusardes, la plupart étant « issues de l’immigration », comme on dit, avec une majorité de confession musulmane et d’origine maghrébine.

Cela donne un ton particulier à la ligne éditoriale du blog, qu’on peut juger partisane, orientée ou au contraire très authentique et significative.


Les commentaires sont généralement aussi intéressants à lire que les articles eux-mêmes, car, bien qu’ils soient modérés (dans le sens où il y a un modérateur), ils en disent long sur certains états d’esprit de la France d'aujourd'hui.

Pour schématiser, il y a d’un côté les revanchards pour qui immigré (entendre « noir » ou « arabe » et/ou « musulman ») = victime et français (entendre « blanc », « chrétien » et « de souche ») = bourreau.


Ceux-là considèrent qu’ils vivent dans une extension fascisante et raciste de l’empire colonial, estiment qu’à ce titre tout leur est du et que tout ce qu’ils ratent ou ne va pas dans leur vie est la faute de la France et de sa mauvaise volonté.

Et de l’autre, il y a ceux qui font dater le début des problèmes de la France au moment où la vague d’immigration afro maghrébine s’est amplifiée.

Ils dénoncent une colonisation inversée, une islamisation programmée du pays et une incompatibilité culturelle fondamentale entre « eux » et « nous ». Ils pensent que nous n'allons que vers l’affrontement et/ou un désastre.

Les joutes qui les opposent quasi-quotidiennement (90% des articles ont trait à des questions identitaires, religieuses ou historiques) sont exacerbées dès que l’on parle de l’Algérie et de la guerre d’indépendance. Le dernier article a vu plus de 200 commentaires notés en une journée !

Cela m’a inspiré la série de post que je vais entamer aujourd’hui, et qui auront trait aux rapports compliqués et passionnés qui unissent encore, près d’un demi-siècle après leur séparation, la France et l’Algérie.

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mardi 14 décembre 2010

Scènes de métro (5): Mendiants, Religieux et Fous

Dans le métro et peut-être encore plus dans les stations elles-mêmes, on croise une quantité impressionnante de marginaux, de fous, de mendiants et de paumés.

On ne fait que passer à proximité de la plupart d’entre eux, mais certains vous interpellent, vous agressent, directement ou non, vous demandent de l’argent, et au minimum vous offrent le spectacle souvent trop triste de leur vie…

Voici une typologie sommaire des quelques-uns qui m’ont marqué ou que j’ai notés pour une raison x ou y.


Tout d'abord il y a les religieux.


La plupart du temps, ils sont discrets, et se contentent de lire avec une grande concentration des bibles ou ce que je suppose être des corans (je ne lis pas l’arabe mais ils ont l’air dévots en lisant).

Ces derniers sont plus nombreux pendant le Ramadan, et j'ai noté que pour les deux livres saints la majorité des lecteurs sont des noirs.


Parmi les religieux que j'ai rencontrés, je me souviens d’un couple de musulmans, tous deux habillés de façon traditionnelle, et qui m’ont jeté un regard noir parce que j’en avais touché un dans la cohue, le souillant sans doute…


Je me souviens aussi d'être tombé, une fois dans le métro, une fois dans le tram, sur un prêcheur noir (était-ce le même ?) haranguant la foule inerte à grands coups d’appels au Seigneur et de « repentez-vous ! » incongrus et fatigants dans le tram et le métro.


Ensuite il y a les « artistes ».


Certains, musiciens et/ou chanteurs, souvent des tsiganes mais pas forcément, sont plutôt bons et font leur job. Ca peut même être agréable de les écouter. Mais on tombe aussi sur d'autres qui sont épouvantablement mauvais, pathétiques, ridicules, et même quelques fois agressifs.


J’ai ainsi croisé plusieurs fois un marionnettiste qui tendait une tenture entre deux barres de métro avant de faire son show sur fond de la version originale de « Petit Gonzalez » braillée par un poste bruyant.


J’ai aussi vu un clown si mauvais qu’on avait envie de le payer pour qu’il se taise. Egalement un jeune homme dansant pitoyablement sur un fond de manele et de rap roumain inécoutable et un quadra usé à l'air aviné qui chantait atrocement et a capella « Sur la route de Memphis » (déjà que j'aime pas l'original...).


Mais il y aussi les chanteurs hélas « engagés », jamais à court de clichés, et qui s’en prennent obligatoirement et avec beaucoup d’originalité (sic!) à la France et à ses dirigeants.
 

Ainsi un musicien autoproclamé a-t-il récemment commis devant moi « Le blues de la révolution », le degré zéro de la création, en s’accompagnant d’un harmonica aussi poussif que les clichés qu’il sortait et que son assommant discours pseudo révolutionnaire anti-Sarkozy et anti-bourgeois.

Ma voisine, pimpante bourgeoise quadragénaire, se mordait les lèvres pour ne pas sourire. Ma station d’arrivée m’a fort heureusement préservée de la quête qui allait suivre.
 

Un autre soir, c'est un rigolo, d’origine maghrébine, qui nous a fait son show, critiquant avec ce qu’il croyait être de l’humour la France et les Français, insistant sur l’importance des origines, apostrophant les gens guitare à la main, etc. Là encore j’ai été sauvé par le gong, m’épargnant un bien pénible moment.

Après les musiciens « volontaires », il faut encore supporter les fêlés du walkman (ou plutôt de l'ipod) qui écoutent leur engin tellement fort qu'on en profite d'un bout à l'autre du wagon. J'ai ainsi pu étudier les paroles de diverses tendances du rap actuel, mais aussi celles de Lara Fabian et quantité d'autres choses plus ou moins digestes...


Et enfin il y a les fous, les obsessionnels, ceux qui sont définitivement dans leur planète.


Je me souviens d’un chevelu entre deux âges qui gueulait sa rage en s'adressant à quelqu'un qui « se branlait les couilles à Pearl Harbour ». J’avais du coup l’impression que sa vindicte allait vers des Japonais, et qu’il rejouait une scène d’engueulade qu’il avait du voir ou vivre. Très lourd et agaçant.


Je me souviens également d'un noir vêtu en plein hiver d'un tee-shirt, de grosses chaussettes sur des pieds enflés et d'un pantalon au sourire de plombier entrant hébété dans le wagon et poussant tout le monde jusqu'à ce qu'il soit assis.

Après ce petit tour d’horizon des spécimens étranges qu’on doit apprendre à côtoyer avec philosophie pour survivre, je vais poursuivre ma série en parlant des rencontres intéressantes ou étonnantes que j’ai faites et des gens qui m’ont accosté.


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lundi 13 décembre 2010

Littérature "étrangère"?

J’ai quelques fois eu l’occasion d’avoir de vraies discussions avec des étrangers, dans ces moments particuliers où le masque tombe et où l’on se laisse aller.

Ce genre d'instant est souvent l’occasion de remettre en cause ce qui semble évident, cela peut déstabiliser, faire réfléchir, interloquer, montrer une autre vérité, une autre vision du monde.

Cela souligne que pour chaque culture et chaque personne il y a un socle que je qualifierais de « non négociable », un ensemble de valeurs, de références et de points de vue qui constituent une base, un peu comme les axiomes en mathématique (ce constat peut d’ailleurs aussi valoir pour les milieux, les régions, etc.).

J’aime beaucoup lire des auteurs étrangers pour essayer de trouver ça, et je grappille dès que je peux des livres écrits par des auteurs issus d’autres pays.

Toutefois, mes connaissances en langues étant limitées, je me contente de lire ce qui a été écrit ou traduit en français.

Et c’est fort de mon expérience dans le domaine que je me suis posé la question qui a motivé l’écriture de ce post : a-t-on vraiment accès à la littérature d’un pays ou est-ce que l’on ne traduit que ce qui conforte les idées que l’on a déjà sur le pays en question ?

Je vais prendre l’exemple du continent d’où j’ai lu le plus d’auteurs, l’Afrique.

Concernant l’Afrique noire, j’ai noté une surreprésentation de romans sud-africains et parmi les auteurs sud-africains une surreprésentation des auteurs blancs.

Je me suis souvent demandé pourquoi une telle prééminence, alors que le français fait partie des trois langues les plus répandues dans le continent, et donc qu’on peut supposer qu’il y existe un certain nombre d’auteurs écrivant dans cette langue.

Certes l’Afrique du sud est le plus développé des pays d’Afrique noire, certes l'importance et l'histoire de la communauté blanche font qu’il y a des liens peut-être plus forts tissés avec l’Europe, mais tout de même.

Dans le même ordre d’idée, la plupart des livres d'auteurs de l’Afrique subsaharienne que j'ai lus (me basant souvent sur la critique pour les choisir) présentent une Afrique tourmentée, obsédée par les colonies et le rapport au blanc, il y a souvent un coté sordide, du sexe, de la superstition, etc.

En clair, tous ces livres semblent conforter l’image que l’on a de l’Afrique noire en France, cette espèce de mélange d’exotisme, de misérabilisme, de crainte et de relents (regrets ?) coloniaux. Et aussi un ethnocentrisme qui fait qu’on a du mal à imaginer l’Afrique « sans nous ».

En ce qui concerne le Maghreb, dont j’ai lu un grand nombre de livres, c’est à la fois semblable et plus subtil.

Semblable parce que chaque livre parle peu ou prou de la France ou de l’occident, qu’il semble que chaque maghrébin ne se définisse que par rapport à ça, ne se préoccupe que de ça.

Et plus subtil car la plupart de ces romans dénoncent les sociétés d’origine, demandent plus d’ouverture, de modernité et de démocratie.

Est-ce à dire que l’africain ou l’arabe moyen déteste son pays, rêve d’occident et de liberté dans le sens qu'on donne à ce mot ici ? Est-ce que seuls les gens qui pensent cela écrivent ?

Ou bien est-ce qu’on ne traduit que ce genre d’auteur? Voire est-ce que les auteurs soucieux d’être publiés en Europe jouent le jeu de ne pas sortir de ces thématiques ?

Question que je suis bien incapable de trancher, même si mes rencontres me laissent imaginer que la vérité doit être quand même plus proche de la deuxième option.

jeudi 9 décembre 2010

Scènes de métro (4): Jours de grève

Un des rituels bien rodés de notre pays, ce sont les grèves des transports en commun.

Elles se produisent régulièrement, quasiment tous les ans et généralement vers l’automne, se terminant lorsque arrivent les vacances.

Elles prennent en otage les milliers de gens qui sont tributaires des transports, elles rallongent leurs journées, les obligent à d’ingénieux aménagements du temps, à prendre la voiture, etc.

Elles sont connues sur la planète entière, du Japon à la Roumanie en passant par les États-Unis et pour la plupart des pays la France est aussi le pays de la grève.

Les touristes et expatriés bloqués qui propagent cette réputation seraient en fait bien étonnés de savoir qu’avec moins de 10% de salariés syndiqués, la France est l'un des pays du monde développé qui est le moins syndiqué, mais là n’est pas le propos de ce post (bien qu’il y ait tant à dire de ce côté-là !).

Je voulais en fait parler de l’ambiance qui règne dans nos transports pendant ce genre d’épisode, que tout le monde vit au moins une fois et redoute toujours un peu.

Çà commence quand l’annonce est faite via la presse. Une grande partie des gens, anticipant les ennuis, prend une journée de congé, on discute, on spécule, on consulte la « météo des transports » sur les sites RATP et SNCF (quand ils sont disponibles).

Puis arrive le jour J.

Selon les fréquences annoncées, les gens essayent souvent de partir plus tôt (bien qu’ils soient souvent coincés par les enfants).

Les quais sont noirs de monde, tout le monde est au coude à coude, tendu vers le but ultime : entrer dans un wagon, même si c’est au prix d’un écrasement brutal. La tension est forte, l’adrénaline coule à flots.

En ce genre d’instant pénible, on voit se manifester plusieurs types de personne.

Il y a les plaisantins qui rigolent par défi, en faisant souvent trop, et les politisés, ceux qui voient la faute du gouvernement derrière tout ça.

J’ai justement assisté à une scène cocasse d’affrontement entre deux de ces stéréotypes vivants.

D’un côté un type gueulait sur Sarko comme quoi la grève était de sa faute et de l’autre un type se moquait de lui en lui rappelant qu’il était vrai qu’avant Sarko il n’y avait jamais de grève.

Chacun étant à un bout du wagon, les échanges ont duré un bon moment, l’anti-Sarko énervé finissant par perdre la face et faire rire tout le monde.

Il y a les anxieux, qui font part à tous leurs voisins des problèmes que cette grève leur cause, les prenant à témoin de leur malheur. Ne jamais leur répondre sous peine de rester bloqué en face de leur monologue stérile et épuisant !!

Il y a les énervés, au bord de l’explosion pour s’être faits avoir une fois de plus, et à deux doigts de lyncher les employés RATP qui passent à leur portée (alors même que ceux-là sont justement les non grévistes !).

Il y a les paniqués, que toute cette foule compacte rend fous. De ce modèle j’ai vu un malheureux prendre à parti les voyageurs assis sur les sièges fixes de la rame, leur sommant de se lever par décence et respect pour les autres, alors que c’était non seulement quasiment impossible, mais de plus parfaitement inutile, vu que ces sièges ne se rabattaient pas !

La personne avait l’air si excédée et épuisée (vu ses vêtements, il devait être balayeur dans une lointaine banlieue) que les gens l’ont gentiment raisonné et que ça s'est terminé dans les rires.

Il y a les seuls au monde, qui considèrent avoir de droit une place et ne supportent pas qu’on les pousse, allant au conflit avec leurs voisins les plus proches. On assiste ainsi à beaucoup d’échanges plus ou moins durs.

A chaque fois il y a au moins une personne qui en invective une autre parce qu’elle l’a poussée, alors même que cette personne ne fait généralement que répercuter un mouvement de masse qui vient parfois de très loin, voire des escaliers en-dehors du quai.

Çà peut aller jusqu’à l’insulte, voire aux coups. Très souvent également, si la personne qui s’estime bousculée est noire et l’autre non, le noir va y aller d’un « raciste » sonore et sans réplique.

Enfin, les conditions de transport extrêmes, l’entassement, les attentes interminables « pour régulation » peuvent enclencher un cercle vicieux : des personnes se sentant mal font un malaise, bloquant un peu plus le train, entraînant encore plus de retard, donc plus d’entassement, donc de nouveaux malaises, etc.

C’est dans ce genre de moment qu’on se met à penser à l’émigration ou aux régimes autoritaires...

Pour en terminer avec le désagréable, mon prochain post aura trait aux fous et aux mendiants que l’on croise forcément dans nos chers transports.

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mercredi 8 décembre 2010

Ghetto américain versus banlieues françaises

On constate souvent une espèce d’identification des jeunes français dits « de banlieue » d’origine africaine au sens large (j’inclus ainsi les Maghrébins) avec les noirs américains, leur culture, leur situation, l’idée d’une sorte de destin commun, tragique.

Cela va des codes vestimentaires (comme garder le mollet nu en souvenir des fers de l’esclavage) à la musique, en passant par une survalorisation de l’origine.

Pourtant, à part le taux de mélanine et la marginalisation réelle ou relative d’une grande partie des deux, ces populations n’ont que peu à voir l’une avec l’autre. C’est ce que je vais m’employer à montrer ici.

Première différence : l’ancienneté


La société américaine s’est construite sur le remplacement brutal d’une population par une autre. Que ce soit par extermination ou refoulement, les amérindiens sont rapidement devenus quantité négligeable et négligée sur leur territoire.

A leur place se sont installés des colons européens ainsi que, dès les premières colonies, des esclaves noirs arrachés à l’Afrique. Leur présence aux États-Unis est antérieure à celle des Européens du sud (Italiens, Grecs) ou de l’est (Polonais) ainsi qu’à celle des Asiatiques.

Ces Africains transplantés ont largement suivi l’expansion américaine, la précédant parfois (des « marrons » ou des affranchis se sont en effet mêlés aux amérindiens ou bien ont été soldats ou cow-boys sur la frontière), et à la fin de l’esclavage, ils se sont installés aux quatre coins du pays.

A contrario, l’installation massive de noirs et de Maghrébins sur le sol métropolitain en France est récente. Si les contacts sont anciens, notamment à cause des phases d’expansion coloniale, l’immigration d’origine africaine s’est massifiée après la seconde guerre mondiale, et même encore plus récemment en ce qui concerne l’Afrique subsaharienne.

Deuxième différence : le mode d’installation


L’installation des noirs en Amérique a été tragique et horrible. Achetés par des marchands européens à des intermédiaires locaux qui se chargeaient de leur capture, ils traversaient l’Atlantique en un voyage sans retour pour se retrouver réduits à l’état d’objet dans un territoire inconnu où leur simple couleur de peau les désignait comme esclaves.

A contrario, l’installation des Africains en Europe a globalement été du même ordre que n’importe quelle immigration : fuyant la misère et/ou des pays hostiles, Maghrébins et Africains ont suivi les Italiens, Espagnols, Portugais, Arméniens et autres Polonais pour essayer de mieux gagner leur vie en France.

Le statut de sujet colonisé a certes rendu cette immigration différente, mais sans que cela ait un impact démesuré.

Et de toute façon le gros du flux se situe après les années 60, donc ces migrations avaient lieu d’un pays indépendant vers un autre pays indépendant.

Troisième différence : le lien avec le pays d’origine


Les noirs américains sont américains. Cette phrase peut paraître une évidence, mais c’est une différence essentielle.

En effet, la déportation des Africains les a quasiment coupés de leurs cultures d’origine. Ce déracinement était sciemment encouragé par les maîtres possesseurs d’esclaves, qui avaient tout intérêt à contrôler la population servile.

Aussi ont-ils été christianisés, leurs langues d’origine ont été interdites, les esclaves venant d'une même région étaient séparés, toute expression culturelle indigène (tam-tam) était diabolisée, etc.

L’échec patent des mouvements de retour en Afrique des années 70 souligne bien à quel point cette rupture a été totale : le choc culturel des afro-américains s’installant dans les pays d’origine de leurs ancêtres a été si fort que la plupart d’entre eux ont fait le voyage retour (bien sur la différence de niveau de vie a également joué).

A contrario, on a beaucoup d’exemples d’afro-américains parfaitement acclimatés en Europe (je pense notamment à de nombreux artistes : Joséphine Baker, Screaming Jay Hawkins, Chester Himes…).

Première marque de cette acculturation : la langue et la religion. Les noirs américains sont anglophones et seulement anglophones (aucune trace des langues indigènes d’Afrique) et ils sont très largement de culture chrétienne (malgré une certaine séduction de l’islam depuis les années 60).

Bien sur il existe une forme spécifique de religiosité, des racines musicales différentes, des argots particuliers, une esthétique parfois à part…mais au final, cela a plus à voir avec des différences régionales qu’ethniques.

De plus, ils sont également assez largement métissés : si noirs et blancs vivent séparés, beaucoup d’enfants de blanc et noire (maitresse du maître, viols, etc) sont nés au cours du temps. Beaucoup ont aussi du sang amérindien.

Enfin, ils prennent généralement leurs partenaires au sein de la communauté américaine, « snobant » souvent leurs compatriotes venus d’Afrique à l’époque moderne.

De nombreux observateurs ont ainsi noté que le vote afro-américain pour Barack Obama n’était pas acquis : il était certes noir par son père, mais celui-ci n’était pas issu de la communauté afro-américaine. Il a été dit que c’est sa femme, parfaite représentante de ladite communauté, qui a fait basculer le vote.

En Europe, la situation est là encore très différente. En effet, les communautés immigrées ont dans l’immense majorité des cas gardé un lien très fort avec leurs pays d’origine.

Ainsi, malgré des contacts anciens avec la métropole (liés à la colonisation), noirs et Maghrébins de France et d’Europe sont en connexion permanente avec leurs pays d’origine (comme les autres communautés récemment arrivées d'ailleurs).

Cette connexion est bien évidemment facilitée par les moyens modernes (transports, Internet, médias) qui n’existaient pas à l’époque de la traite, et par le fait qu’ils sont libres de leurs mouvements et non propriété d’un maître esclavagiste.

Parmi ces immigrés, beaucoup parlent encore la langue de leurs parents, retournent régulièrement « au pays » (où ils possèdent parfois un pied-à-terre), donnent à leurs enfants des prénoms liés à leurs origines et s’habillent volontiers de façon traditionnelle.

Par ailleurs, la quasi-totalité des Maghrébins et une grande partie des Africains sont musulmans, ce qui les distingue d’une Europe à majorité chrétienne (au moins de culture).

Enfin, on constate une forte volonté d’endogamie (surtout chez les Maghrébins), avec la mise en place de stratégies matrimoniales entre pays d’accueil et pays (voire régions ou villages) d’origine et un refus parfois violent des unions mixtes. Les histoires de filles reniées par leurs familles pour avoir vécu ou voulu vivre avec un Français sont nombreuses.

Cette endogamie peut même se doubler d’une volonté de vivre à l’heure du pays d’origine (ou supposée telle).

On note en effet chez certains une volonté de suivre les traditions à tout prix, quitte à frauder avec la loi (je pense à l’excision, au mariage uniquement religieux ou à la polygamie). D'autres exigent également que le pays d’accueil s’adapte au mode de vie souhaité (stricte séparation des sexes, nourriture spécifique, etc).

Quatrième différence : le traitement par la loi

La façon dont la loi traite ou a traité ces minorités diffère profondément d’un côté et de l’autre de l’Atlantique.

Aux États-Unis, le statut d’esclave des noirs a fait qu’on les a installés de façon autoritaire dans des zones dédiées d’où ils ne devaient en aucun cas sortir.

Les lois ségrégationnistes qui ont suivi l’abolition de l’esclavage ont fait perdurer cette relégation, légale jusqu’à la fin des années 60 pour beaucoup d’états du sud.

Aujourd’hui les noirs ont les mêmes droits que les autres Américains, ils peuvent s’installer où ils le désirent, et sont égaux devant la loi avec leurs compatriotes d’autres origines.

Cependant, ils vivent généralement dans des lieux où ils sont très concentrés, à la fois par choix, pour des raisons économiques et parce qu’à partir d’un certain seuil dans la proportion de noirs, on assiste au phénomène de « white flight », c’est-à-dire au départ progressif des voisins blancs quittant le quartier jusqu’à ce que celui-ci devienne uniformément noir (le cas le plus célèbre est sans doute Harlem).

Ce phénomène est difficile à qualifier rationnellement, mais il est bien réel. On peut d’ailleurs l’appliquer à d’autres communautés.

L’approche en France métropolitaine a été très différente dès le début (je dis bien « France métropolitaine » pour la distinguer des colonies). Malgré un statut et un traitement inégalitaires à l’époque coloniale, la ségrégation n’a jamais été inscrite dans la loi.


Ainsi, cette égalité de principe a fait que pendant la première guerre mondiale, le gouvernement français a refusé à ses alliés américains d’appliquer la ségrégation à ses troupes coloniales.

Ainsi les artistes noirs américains adoraient-ils Paris car ils pouvaient s’y déplacer librement.

Ainsi le martiniquais Raphaël Elizé devint-il maire d’une commune de la Sarthe en 1929.

De même, lors de l’emballement des flux migratoires pendant les trente glorieuses, les immigrés d’origine africaine n’étaient pas forcément plus mal lotis que ceux d’origine européenne : ils partageaient les mêmes bidonvilles (l’exemple le plus célèbre étant le bidonville algéro-portugais de Nanterre). Et ils bénéficièrent eux aussi des programmes de HLM.

Il y eut toutefois quelques cas particuliers de traitement sciemment différentié par l'état. Je pense notamment aux harkis, scandaleusement parqués pendant des années dans des camps soumis à un régime militaire.

Aujourd’hui, la loi n’est pas plus ségrégationniste qu’à l’époque, mais le communautarisme, notamment religieux, un « white flight » sous-estimé voire occulté ainsi que la persistance de grandes différences socio-économiques font qu’il existe bel et bien des quartiers à dominante blanche et des quartiers afro-maghrébins.

Conclusion: minorité historique contre groupes en pleine expansion

Pour conclure, on peut dire que les noirs américains constituent une communauté particulière de l’Amérique. Elle s’est formée il y a plusieurs siècles dans la douleur de l’esclavage, elle est stable et constitutive de l’Amérique « historique ».

A contrario, l’histoire des minorités noire et maghrébine d’Europe et de France commence tout juste.

Arrivées récemment, ces populations connaissent une expansion démographique dont on n’a pas encore pris la mesure, s’intègrent souvent mais s’assimilent et se mélangent peu, et elles gardent un contact étroit avec leurs pays d’origine.

Il est donc totalement inexact et hors de propos de comparer ces deux situations complètement différentes, même si dans les deux sociétés ces minorités sont en grande partie marginalisées face à une population dominante blanche et chrétienne (par ailleurs en perte de vitesse démographique).

Deux nouvelles tendances

Deux exceptions importantes sont cependant à noter, qui amènent peu à peu une convergence entre les deux situations.

La première concerne l’immigration « intérieure » des ressortissants des départements d’Outre-Mer français vers la métropole. J’entends par là Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion.

J’exclus de cette liste les ressortissants de Mayotte et des Territoires d’Outre-Mer (Polynésie, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna), car ces territoires s’apparentent à des colonies « traditionnelles » puisqu’il y existe encore une population autochtone nombreuse, à l’identité claire, en continuité avec l’ère pré coloniale et en phase avec ses racines.

A contrario, les noirs des Antilles, de la Guyane et de la Réunion ont connu une histoire proche de celle des noirs des USA.

Déportés comme esclaves dans des territoires sans autochtones (la Réunion) ou vidés de leurs premiers habitants exterminés et déportés (Antilles) ou relégués (Guyane), ces Africains se sont francisés, christianisés et métissés.

Leur situation géographique particulière et le fait qu’ils soient restés majoritaires leur ont permis de garder un peu plus de leurs cultures d’origine que les noirs des États-Unis, d’inventer des langues nouvelles (créole) ou des religions syncrétiques (vaudou antillais), mais leur culture est quand même plus proche de celles d'Europe que de l’Afrique.

Leur immigration massive en métropole à partir des années 50-60 s’est donc faite avec cet arrière-plan particulier, qui les rapproche des noirs d’Amérique, citoyens complets au physique différent.

La deuxième exception concerne l’immigration de noirs aux États-Unis.

En effet, le rêve américain, qui draine vers les USA des gens issus des quatre coins du monde n’épargne pas les pays à population noire.



L’aire Caraïbe est bien sur concernée, pour des raisons de proximité géographique, mais un nombre non négligeable de migrants quittent chaque année le continent africain pour les États-Unis.

Ces migrants, issus de pays constitués, gardent des liens forts avec ceux-ci, en conservent souvent la langue, la religion (islam africain, catholicisme ou syncrétismes sud-américain et caraïbe), multiplient les allers-retours, font venir la famille, etc.

Bref, ils agissent en immigrants modernes, adoptant les comportements que j’ai décrits pour les minorités afro-maghrébines de France.

En tout cas, quelles que soient les différences ou ressemblances dans les situations, la croissance de ces minorités pose de nouveaux défis aux sociétés européennes et américaines, dont le traitement conditionnera le futur proche.