vendredi 30 avril 2010

Gare routière de Bagnolet

Depuis que je suis enfant j'entends beaucoup parler des "immigrés".

On en parle dans les conversations, dans les discours politiques, dans les journaux, à la télévision, en bien ou en mal, mais presque toujours avec passion...

"Les immigrés ne s'intègrent pas", "Les immigrés volent notre travail", "Les immigrés détruisent notre pays" d'un côté. "Les immigrés enrichissent notre culture", "Les immigrés sont des victimes", "Les immigrés sont exploités" de l'autre.

Pour moi qui ai vécu en zone rurale, tout cela est finalement resté assez longtemps abstrait, et l'immigré une créature un peu exotique, un peu mythique.


Plus tard, quand je suis devenu citadin, j'ai commencé à en côtoyer mais comme pour tant de gens finalement, de manière superficielle et sans vraiment voir leur réalité.

Des immigrés, je voyais le visage, la couleur, les vêtements, je notais la religion, les coutumes et la langue qui me différenciaient d'eux, mais pas plus que d'un français d'une autre région.
 
J'ai d'ailleurs longtemps vécu dans des endroits où ils étaient marginaux, invisibles, rares, et où l'écrasante majorité de mes voisins étaient des français de souche.

Depuis quelques années, je suis cependant passé "de l'autre côté", des circonstances personnelles m'ayant amené à voir mon pays à travers les yeux et l'expérience de gens issus de cette immigration pauvre en provenance des pays sous-développés d'Asie, d'Afrique et d'Europe de l'est dont on parle quand on dit les immigrés (il est en effet intéressant de noter que les américains, anglais ou suédois qui s'installent en France ne sont pas désignés par ce terme).

Et quand on parle d'immigré, il faut se rappeler qu'à la base il s'agit de quelqu'un qui vient d'ailleurs, qui est parti d'un endroit où c'était lui l'autochtone, et qu'une bonne partie de sa vie se passe entre son monde d'origine et son monde d'adoption.

Un bon endroit pour appréhender cette réalité, c'est la gare routière internationale de Bagnolet.

Bagnolet est une banlieue populaire de Seine-Saint-Denis, le fameux 9-3, ce département que l'on connait pour être celui de tous les records: pauvreté, fécondité, immigration, délinquance, islam, etc...

C'est dans cette banlieue, séparée des arrondissements pauvres de l'est parisien par le périphérique, que partent et arrivent les réseaux de bus internationaux qui relient la France et son étranger proche.

Coincée entre des tours gigantesques et des voies d'accès bétonnées de toute part, la gare y est impersonnelle et laide.

Pourvue de grands parkings, plutôt bien tenue malgré les odeurs mêlées de pollution, d'essence et de poussière, il y règne une ambiance particulière,celle des adieux, celle des séparations, des espoirs, des soucis, celle des petits moyens de ceux qui ne peuvent pas se payer l'avion ou partir en voiture.

En permanence des gens y attendent (les horaires des bus sont tout sauf garantis), fatalistes ou anxieux, immobiles ou faisant les cent pas, taiseux ou s'étourdissant de paroles dans diverses langues.

Ceux qui se retrouvent dans la joie croisent la douleur de ceux qui doivent se séparer, chacun y allant de ses larmes, de ses conseils, de ses recommandations, de ses comptes rendus de voyage, de ses combines, de ses sandwiches et bouteilles d'eau pour la route.

Des gens du Maghreb croisent ceux d'Europe de l'est. Ils sont étudiants, travailleurs saisonniers, trafiquants à la petite semaine, parents venus voir leurs enfants...

Parfois, ils sont aussi des malchanceux, de retour de leur rêve européen, ou plus rarement des routards de toute origine qui cherchent le moindre coût pour rentrer chez eux ou partir en voyage.

Par-delà les origines, ces gens ont un vécu commun, des attitudes communes, un espèce de mélange de fatalisme, de roublardise, de ténacité et de superstitions qui les rapprochent.

Ils essaient d'ajouter encore un bagage, ils s'énervent de l'intransigeance de règlements qui les dépassent, ils ont les mêmes sacs en toile cirée bourrés à ras bord...

Cet endroit n'est ni agréable ni édénique, mais il n'est pas non plus misérable ou indigne. Il ouvre juste un peu les yeux sur ce qu'ont en commun tous les immigrés pauvres du monde qui ont du ou cru devoir partir pour avoir une vie meilleure. Un immigré, c'est finalement juste ça.

Cette motivation qui les fait partir est universelle et respectable. Et chacun peut la comprendre, quelle que soit son opinion sur la politique migratoire à appliquer, sur les différences de culture ou sur ce qu'il est souhaitable ou non d'accepter.

mercredi 21 avril 2010

Le boeuf clandestin

Le post d'aujourd'hui sera à couleur "philosophique", si on peut dire.

Ce matin j'avais un rendez-vous avant d'aller travailler. C'était à un endroit de la ville que je ne connaissais pas.

J'y suis arrivé pas mal en avance et j'en suis reparti en début de matinée, ce qui m'a donné deux petits temps morts, deux moments volés à ma journée que j'ai savourés comme deux trop rares friandises.

Il faisait beau, j'ai flâné au hasard des rues, qui dans cet endroit avaient des noms peu ordinaires (j'ai noté une rue du château des rentiers et une rue des terres au curé).

J'ai détaillé les maisons, les bâtiments, les fleurs et les terrains vagues.

J'ai croisé des ouvriers étrangers devisant devant un café avant de s'attaquer à la tâche. J'ai vu des vieilles personnes vaquant à leurs courses matinales.

J'ai vu des employés fumant leur cigarette sur le trottoir, accrochant quelques bribes de conversation en passant.

J'ai mangé un gâteau acheté au hasard dans une boulangerie que je ne connaissais pas.

J'ai vu des rues quasi vides, tranquilles...

J'adore ce genre de moment où je ne suis pas là où je suis d'habitude, où en dehors de mes horaires, je me sens en quelque sorte voyeur, voleur de moments.

J'aime en particulier le matin, ce moment de la journée où tout semble plein d'allant et de promesses, où le peuple de la nuit dort, où les racailles sont rentrées chez elles, où le jour se lève doucement.

En fait, ma vie est peu à peu devenue une course permanente entre le boulot, ma femme, mes enfants, ma famille, mes amis, les responsabilités, les tâches ménagères, les soucis des uns et des autres, les paperasses...il y a toujours quelque chose à faire et si l'on n'y prend pas garde, l'existence peut finir par se résumer à une pile de tâches à faire.

Aussi, me ménager délibérément un intervalle à moi entre deux de ces tâches, les boycotter sciemment et presque en cachette me procure un grand plaisir, plaisir d'autant plus important qu'il est solitaire et non partagé, qu'en quelque sorte c'est mon secret. C'est un peu comme lire ou surfer quand tout le monde dort.

Et cela me rappelle un livre de mon cher Marcel Aymé, intitulé "Le bœuf clandestin".

Ce titre étrange fait référence à un personnage du roman, un notable respecté et suffisant qui s'affirme végétarien et qui est considéré avec un grand respect par tout le monde pour ce choix difficile...et qui se prépare et mange des steaks le dimanche matin, quand toute la famille bonne inclue est à la messe.

Le bonheur...